Poupées d’empathie : qu’en pensent les personnes malades ?

Acteurs de l'écosystème Alzheimer

Date de rédaction :
02 juin 2020

Henri, 89 ans, béret sur la tête, est assis dans la cuisine avec Rose, sa « mioche » blottie contre son flanc, le résident alterne les caresses sur les « petits petons » sans chaussons et « les bécots » sur son front. « Elle est sage dis donc. Eh là ! Que tu es belle. » Sabrine Mehmah, agent hospitalier, le surveille d’un œil attendri : « l’arrivée de Rose l’a canalisé. Henri passait sa journée à pousser des cris qui perturbaient l’ensemble de l’unité. On ne sait pas vraiment s’il y a un transfert qui s’opère entre cette poupée et ses deux filles, mais les effets sont épatants, il parle désormais d’une voix douce et posée. » Geneviève, 77 ans, ne quitte quasiment plus son « petit pépère », plaqué sur sa poitrine. Son « enfant » ne pleure jamais, et elle espère qu’il en sera toujours ainsi, tant qu’elle saura s’occuper de lui. Elle le promène en poussette et le borde la nuit tombée. Le bébé est la dernière chose qui la fait réagir de manière appropriée, explique le personnel. Ces vestiges maternels sont perçus ici comme de doux instants de grâce. La cuillerée de compote que Lucienne, 88 ans, donne à l’enfant coule sur le bord des lèvres de plastique. Elle n’a pas encore l’habitude et admet sa maladresse. Mais le petit Michaël (prénommé comme son petit-fils) « ne pleure pas même si le body est taché ». « Tu ne vois pas qu’il n’ouvre pas la bouche ton bébé ? Tu es folle, ce n’est même pas un vrai ! » se révolte Lucie, sa voisine de table. « Laisse-moi tranquille ! » lui rétorque Lucienne Goulet. Certains résidents envoient valser le bébé, trop lucides pour être bernés, et les autres en sont souvent déstabilisés. Agnès Pichard, aide-soignante, explique : « il ne faut jamais mettre les poupons directement dans les bras d’un résident. Cela doit rester un choix. On ne peut jamais totalement appréhender les évolutions de la maladie d’Alzheimer et donc la réaction des personnes. Certains de nos résidents sont en capacité de reconnaître un vrai bébé et pourraient logiquement très mal le prendre. D’autres peuvent changer d’une heure à l’autre de fonctionnement et de comportement vis-à-vis des baigneurs. »

www.liberation.fr/france/2018/02/25/catherine-ollivet-il-y-a-une-difference-entre-la-verite-qui-est-la-notre-et-celle-des-malades_1632269, 25 février 2018.