« Les yeux des autres, c’est ce qui compte vraiment »
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
Aux Pays-Bas, Els van Wijngaarden, du groupe de recherche en éthique des soins de l’Université des études humanistes d’Utrecht, et ses collègues du département de sciences appliquées du centre médical universitaire de Groningue, ont recueilli 322 messages enregistrés par 16 personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée, participant au groupe néerlandais des « chroniqueurs de la démence » (Dementia diarists). Ce projet, initié au Royaume-Uni, utilise des micro-enregistreurs spécialement conçus pour les personnes malades pour que celles-ci y consignent leurs impressions, sans le filtre des aidants ni des soignants. Les données ont été complétées par 37 entretiens. Vivre avec la maladie, dans la perspective de la première personne, est une expérience extrêmement déstabilisante : c’est l’entrée dans une période de la vie très incertaine, imprévisible et ambiguë.
Les personnes malades sont confrontées à différentes pertes qui modifient ou rompent les relations :
- avec leur propre corps (examiner son corps perturbé, essayer de maîtriser la perte de contrôle du corps) ;
- avec les autres (se sentir scruté par le regard suspicieux des autres, s’éloigner des proches, avoir des difficultés à partager son combat contre la maladie avec les autres, aspirer à être pris au sérieux, s’engager dans un monde de pairs) ;
- avec le monde environnant (avoir le sentiment d’être désorienté dans un lieu étranger ; se sentir enfermé dans un espace qui rétrécit, essayer de contrôler un futur redouté, avoir l’idée d’en finir avec la vie).
Pour les chercheurs, cette étude montre comment les personnes malades sont affectées par « les yeux des autres ». Elles aspirent à un environnement sûr et tolérant mais se sentent très souvent dévisagées par des regards inquisiteurs et réprobateurs. L’étude révèle aussi un lien entre les imaginaires sociaux dominants et la compréhension que les personnes malades ont elles-mêmes de la maladie. L’essentiel de la souffrance psychologique trouve son origine dans l’ombre de l’imaginaire négatif. Une approche socio-relationnelle est nécessaire : dans la perspective de la première personne, la maladie d’Alzheimer est reliée à la personne humaine, aux relations sociales et aux rôles sociaux. Pour les personnes malades, l’important n’est pas ce que la maladie d’Alzheimer est mais plutôt ce qu’elle signifie et comment elle affecte la vie quotidienne.
Van Wijngaarden E et al. ‘The eyes of others’ are what really matters: The experience of living with dementia from an insider perspective. PLoS ONE 14(4): e0214724. 3 avril 2019. https://journals.plos.org/plosone/article/file?id=10.1371 (texte intégral)