Les personnes malades vivent-elles dans le déni ?

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Date de rédaction :
16 juin 2020

D’un point de vue médical, le déni et l’anosognosie sont décrits comme symptomatiques de la maladie d’Alzheimer et désignent le refus inconscient ou l’incapacité neurologique à reconnaître ses troubles ou leur évolution, expliquent Veronika Kushtanina et ses collègues, du laboratoire de sociologie et d’anthropologie (EA3189) à l’Université de Bourgogne Franche-Comté. Les chercheurs qui ont interrogé 20 personnes malades, proposent, au contraire, de prendre au sérieux leur interprétation de la situation et de l’éclairer par leur contexte de vie. Les sociologues mettent en regard l’évolution du score cognitif (MMSE-mini-mental state examination, sur 30 points) avec la perception de l’évolution des troubles par les personnes malades. De manière surprenante, ce sont les perceptions non-négatives de l’évolution récente des troubles, qui dominent chez 15 personnes malades sur 20 ; les perceptions des troubles vont souvent à l’encontre des dynamiques du score MMSE : les personnes ayant connu le déclin du score MMSE le plus important (10 points et plus) ne relatent pas de changement récent, voire insistent sur la faiblesse des troubles ; celles qui parlent d’une amélioration ont connu des pertes légères (2-4 points) ; les deux seules personnes dont le discours évoque une dégradation ont un score MMSE stable ou une perte légère (3 points). La perception de l’évolution des troubles des participants s’inscrit dans leur expérience biographique. Ces constats peuvent alimenter la thèse du déni et de l’anosognosie [méconnaissance de la maladie par la personne malade elle-même] : les personnes malades refusent d’admettre les changements inhérents à l’évolution de la maladie. Cependant les sociologues avancent une autre hypothèse : les personnes expriment leur ressenti au regard de ce qui fait sens dans leur vie et non en fonction d’une échelle de mesure de la mémoire et de la cognition (le score MMSE) portant sur des éléments « extérieurs » à leur vie quotidienne, comme le calcul mental ou la reproduction de figures géométriques. Les personnes malades développent leurs propres automesures de la maladie en se fondant, par exemple, sur leur aptitude à organiser leur quotidien en minimisant les aides extérieures.

www.revue-interrogations.org/Les-personnes-malades-d-Alzheimer (texte intégral).