« J’ai su que j’entrais en guerre »
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
Comment ne pas se laisser envahir par l’épuisement physique et psychique quand on accompagne un proche atteint de la maladie d’Alzheimer ? Comment se faire aider et s’informer sur la maladie ? Pourquoi faut-il savoir prendre du temps pour soi ? Des proches de personnes malades ont raconté à Sarah Chiche, de la revue Cercle Psy, comment ils s’en sortent. Bénédicte rappelle ainsi le parcours du diagnostic pour sa mère, qui avait des trous de mémoire de plus en plus fréquents, et la voyait « se débattre dans la glu d’un abattement moral profond que plus rien ne vient distraire » : « à soixante-trois ans, elle était, selon son médecin généraliste, bien trop jeune pour être atteinte de la maladie d’Alzheimer. J’ai bataillé plusieurs mois, demandé des avis à d’autres médecins, ma mère habitait en province et moi à Paris, tout était compliqué, j’avais le sentiment d’une indifférence générale. » La jeune femme finit par obtenir un rendez-vous chez un spécialiste. « La neurologue était d’une froideur extrême. Elle m’a dit : « voilà, c’est Alzheimer, vous pouvez considérer à présent que votre mère n’est plus votre mère, qu’elle est malade, il va falloir songer à la place, peut-être pas immédiatement, mais vous devez y penser. Les années qui vous attendent, je préfère vous prévenir, vont être très dures, un enfer. Je vais vous faire une ordonnance, je pars en vacances ce soir. J’ai su à cet instant que j’entrais en guerre, et que j’allais être seule dans ce combat. » Bénédicte raconte un combat titanesque contre l’irréversible, où pour ne pas s’effondrer, on se réfugie dans la toute-puissance, convaincu que l’amour fera des miracles. Elle devient « la maman de sa maman ». « Parfois, les échanges étaient confus, à chaque répétition de phrase, je répondais toujours. Il est très important de ne pas mettre en échec un malade. Elle me demandait quarante fois si j’avais acheté le journal, je répondais quarante fois oui. Parfois, quand j’étai là, elle chutait. En parlant avec elle, je me suis aperçue qu’elle visionnait comme un gouffre par terre, et qu’elle avait peur, d’où ses chutes. J’ai mis au point un code, elle me donnerait le bras ou se tiendrait à l’aide-ménagère quand elle verrait ce vide, et ainsi elle ne serait pas seule à le traverser. »
Chiche S. Accompagner Alzheimer au quotidien. Le Cercle Psy 2016 ; 19 : 70-73. Décembre 2015-janvier 2016.