Espoir et prudence

Édito

Date de rédaction :
01 août 2008

La nouvelle n’a pu, cet été, échapper à personne, elle a été annoncée d’abord à la Conférence internationale sur la maladie d’Alzheimer qui se tenait à Chicago, puis elle a été répercutée par les medias du monde entier : une nouvelle molécule, baptisée Rember, a été expérimentée chez l’homme en essai clinique de phase 2 et elle a donné des résultats significatifs. Après dix-neuf mois de traitement, les personnes ayant pris le médicament, atteintes d’une forme légère à modérée de la maladie, ne présentaient pas de dégradation neurologique et leurs symptômes restaient stables, contrairement à celles sous placebo dont les fonctions cognitives continuaient à décliner. L’image cérébrale semblerait montrer que le médicament est actif dans les zones les plus affectées par des amas de protéines tau (AFP, Quotidien du Médecin, www.latribune.fr, www.lefigaro.fr, 30 juillet ; www.lejdd.fr, www.rechercheclinique.com, 31 juillet ; International Conference on Alzheimer’s disease 2008, 26-31 juillet).

Si ces résultats intéressants sont validés, ce serait la première fois que l’on démontrerait qu’un médicament peut ralentir le développement de la maladie, selon le Professeur Bruno Dubois, de la Pitié Salpêtrière, qui reste prudent (mêmes sources françaises). Soyons en effet prudents. Le Professeur Wichik, qui dirige la recherche à l’Université d’Aberdeen (Grande Bretagne) et qui préside le laboratoire de Singapour où elle est développée, n’envisage pas de commercialisation avant 2012 (ibid.)

Dans le même temps, tout justement, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques au ministère de la Santé, qui ne pouvait connaître encore ces résultats, se livrait à un exercice de prospective sur l’impact du vieillissement de la population française et, en particulier, de l’incidence de la maladie d’Alzheimer. Elle estimait que l’effet d’une amélioration de la prise en charge par de nouveaux médicaments et une meilleure éducation ne pourrait se faire sentir au mieux qu’après 2030, compte tenu de la durée d’évolution de la maladie. L’apparition éventuelle d’un traitement curatif vers 2015-2020 n’aurait d’influence que sur le taux de recours des malades les plus jeunes (DREES, Dossiers solidarité et santé n°4, 2008 ; www.agevillagepro.com, 21 juillet).

Rappelons-nous les espoirs soulevés par la piste anti-amyloïde. Le plus grand essai de phase 3 jamais mené, testant le tarenflurbil, n’a pas fait la preuve de son efficacité par rapport au placebo. Le laboratoire a arrêté le développement de la molécule en juin (www.alz.org, 28 et 29 juillet ; www.alzheimers-research.org.uk, 18 juillet ; Neurotherapeutics, juillet 2008).

Et le vaccin ? Un essai de phase 1 a suivi pendant six ans quatre-vingts personnes atteintes de formes légère à modérée, immunisées par le vaccin AN1792, dirigé contre les plaques amyloïdes du cerveau. Résultat : contrairement aux prévisions, éliminer les plaques amyloïdes n’améliore ni la fonction cognitive ni la survie. Pour le Pr Clive Holmes, de l’Université de Southampton, les concepts doivent être revus : les plaques pourraient enclencher la neurodégénération, mais ne plus avoir aucun rôle par la suite (www.alz.org, 28 et 29 juillet ; Lancet, 19 juillet ; International Conference on Alzheimer’s disease, 27 juillet).

Il n’est pas jusqu’à la méthodologie même de ces essais cliniques qui ne soit aujourd’hui remise en question. Les résultats et les problèmes rencontrés auraient-ils pu être différents si les essais avaient été mieux conçus ? Un Congrès international se tiendra en octobre à Toronto (Canada) où seront débattus les concepts sur la progression de la maladie et l’optimisation des essais cliniques (www.medicalnewstoday.com, 26 août ; www.ama-assn.org, 18 août).

Alors quoi ? On ne va tout de même pas rester les bras croisés jusqu’à 2012 ! Voire jusqu’à 2030 ! Développer la recherche, oui, bien sûr (et c’est largement prévu dans le Plan Alzheimer), mais aussi, et peut-être surtout, améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de la maladie, développer les approches non médicamenteuses, que nous préférons appeler, de façon plus positive, « interventions psychosociales » (La Revue Gériatrie, supplément, juin 2008). Bref, et c’est le principe de base du plan Alzheimer lancé par le Président de la République : mettre la personne malade au centre de toute action, de tout dispositif. L’homme n’est pas une machine, dont un mécanicien quelque peu monstrueux remplacerait à volonté les pièces détachées. Craignons parfois les dérives des neurosciences : l’utilisation des connaissances acquises par le biais de l’imagerie cérébrale dans des domaines étrangers à la médecine peut être une boîte de Pandore (www.place-publique.fr, 18 août).

Face aux problèmes posés par la maladie d’Alzheimer, la réflexion éthique doit, dans cet esprit humaniste, prendre toute sa place. La Commission nationale Informatique et libertés s’inquiète, par exemple de l’usage que l’on peut faire du bracelet électronique : « une technologie, rappelle-t-elle, ne remplacera jamais une intervention humaine (…) Tout est en fait une question de seuil, de limite, selon que le malade dispose encore de son libre arbitre » (www.la-croix.com, www.canoe.com, 20 août ; Le Nouvel Observateur, 21 août). Il faut faire en sorte que « l’espace de liberté consenti au malade puisse être amélioré, que l’outil ne soit pas porté tout le temps et que son introduction ne soit pas un alibi pour réduire le nombre des aidants » (www.agoravox.fr, 28 août).

Quand cette réflexion semble faiblir, montrer ses failles, il est légitime de poser des questions, voire de s’indigner. Un vice-président du Comité national d’éthique avait déclaré dans Le Point : « Il vaut mieux correctement prendre en charge un père de famille de quarante ans, qui est rentable pour la société, qu’une personne de quatre-vingt-deux ans qui n’a pas toute sa tête. C’est évidemment un constat tragique. Mais nous n’avons pas le choix ». Le journal a reçu une avalanche de lettres offusquées et une polémique, orchestrée sur Internet, s’en est suivie (Le Point, 3 juillet et 21 août ; www.agevillagepro.com, 1er septembre).

L’éthique se situe jusque dans les détails du quotidien. Pour donner un exemple simple, parler aux personnes malades en employant un langage infantilisant n’aboutit qu’à renforcer leur résistance aux soins. Tel est du moins l’un des résultats d’une étude de l’école infirmière de l’Université du Kansas (Etats-Unis). L’Association Alzheimer des USA souligne ainsi l’importance pour les aidants, professionnels ou non, de comprendre l’impact de leur capacité à communiquer sur la qualité de vie des personnes malades (www.infirmiers.com, 12 août ; www.lepoint.fr, 18 août ; www.lagedor.fr, 19 août ; International Conference on Alzheimer’s Disease, 26-31 juillet ; American Journal of Alzheimer’s disease and Other Dementias, 30 juin).

Les personnes malades ont un droit inaliénable à la parole. L’Association Alzheimer des USA, en partenariat avec l’Université Northwestern d’Evanston (Illinois), a analysé les préoccupations de trois cents personnes atteintes d’un forme précoce. Ces dernières veulent avant tout qu’on les considère non pas en fonction de leur déclin cognitif et de leurs incapacités fonctionnelles, mais en fonction de leurs capacités restantes. Elles souhaitent rester engagées pour être entendues, apporter leur contribution à la société pour faire connaître la maladie au grand public et militer pour transformer les représentations erronées, encore dominantes (www.alz.org, 26 août). De la même façon, la Fondation Roi Baudoin (Belgique) édite une brochure à l’attention des décideurs politiques, rappelant l’importance fondamentale de l’implication de la personne malade, qui doit être partie prenante dans les processus de décision (www.kbs-frb.be, 28 août).

Que tout l’environnement apprenne à « entendre » leur parole : voilà la philosophie du projet EVAL, mené par le pôle Etudes de la Fondation Médéric Alzheimer en partenariat avec l’AGIRC-ARCCO. Le but est de modifier les paramètres de l’environnement afin d’améliorer la prise en charge et l’autonomie des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Il s’agit notamment de mesurer l’impact d‘interventions environnementales sur la symptomatologie des résidents, qui montrent, d’après les premiers résultats, une diminution significative de leur agitation et de leur anxiété (Santé mentale, juin 2008). Une étude américaine sur le développement de l’habitat groupé pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer au Japon illustre parfaitement l’intérêt de ce type d’intervention : après un an d’expérience, la fonction cognitive semble mieux préservée chez les résidents de ces nouveaux ensembles, tandis que les troubles du comportement paraissent améliorés grâce à une animation bien adaptée (Care Manager’s Journal, 2008 ; American Journal of Alzheimer’s Disease and Other Dementias, 16 juillet).

A cette place centrale qu’elle devrait idéalement occuper, la personne malade n’est pas seule. A ses côtés se tiennent son conjoint, ou ses enfants, ou la personne de sa famille qui a accepté de prendre soin d’elle, au détriment souvent de sa propre vie professionnelle, au prix presque toujours de son épuisement physique et psychique. La loi prévoit désormais pour cet aidant familial la possibilité de prendre un congé de soutien familial non rémunéré ouvrant des droits à l’assurance vieillesse. Mais il est évident que les familles, dans leur immense majorité, sont incapables de faire face au coût de la dépendance liée à la maladie d’Alzheimer. Plusieurs députés suggèrent donc d’instituer un statut de l’aidant, avec un crédit d’heures qui rendrait plus accessibles les dispositifs de répit (Journal Officiel, 29 juillet, 12 août).

Aux Etats Unis, le sénateur John Kerry, l’ancien candidat démocrate aux élections présidentielles de 2004, a déposé un projet de loi prévoyant notamment un crédit fiscal pour les aidants (www.caregiver.org, 20 août). En Australie, lors d’un audition de la Commission d’enquête parlementaire sur l’aide aux aidants, des experts ont proposé d’introduire dans la loi le droit à des horaires flexibles, un système spécial de droits à la retraite et des allégements fiscaux (même source). Au Québec, un projet de loi prévoit d’allouer deux cents millions de dollars sur dix ans à la création d’un fonds de soutien aux proches aidants qui fournissent, sans rémunération, des soins et du soutien régulier à domicile à des personnes atteintes notamment de la maladie d’Alzheimer (www.journalexpress.ca, 23 juillet).

Pour infléchir encore davantage la réflexion des décideurs politiques, pour imposer avec encore plus d’évidence l’idée que la personne malade doit être mise au centre de tout dispositif de prise en charge, il faut que l’opinion publique soit plus complètement et plus rigoureusement informée. Suivons l’exemple qui nous vient d’Amérique : un documentaire de quatre-vingt dix minutes, Alzheimer’s, Portrait of an epidemic, avait été produit en 2004 par une télévision de Minneapolis-Saint Paul (Missouri). Suivi par dix millions de téléspectateurs, il avait obtenu un Emmy Award pour la meilleure émission à une heure de grande écoute. Cet été, la chaîne publique PBS a décidé de le re-diffuser un dimanche soir à 21H.L’émission a été suivie par un débat de trente minutes enregistré au Congrès international de Chicago, où avait été annoncée la découverte de la nouvelle molécule. A cette occasion, l’Association Alzheimer USA a appelé les bénévoles à organiser des soirées télévision en leur fournissant un kit de ressources. Un site de ressources inter actif a été créé sur internet, un DVD est également disponible www.pbs.org, www.alz.org, 29 juillet).

Espoir et prudence, oui, quand il s’agit d’analyser aujourd’hui avec rigueur les résultats de la recherche médicale. Mais cette circonspection ne nous fait-elle pas d’autant plus un devoir d’imagination et de courage, dans l’action de tous les jours ?

Jacques Frémontier, journaliste bénévole.