En attendant la Plan Alzheimer

Édito

Date de rédaction :
01 janvier 2008

La personne malade au coeur de l’action, comme sujet-acteur premier : tel était l’un des principes majeurs du rapport de la Commission Ménard, rendu public il y a deux mois. En attendant que ce principe s’inscrive noir sur blanc dans le futur Plan Alzheimer (prévu maintenant pour le début février), il semble bien que l’idée fasse son chemin et commence à imprégner les esprits.
Est-ce un hasard si c’est aujourd’hui que le gérontopôle de Toulouse a mis en place un réseau de recherche clinique en établissement pour personnes âgées afin de mieux connaître les spécificités de cette population et, à terme, d’améliorer la qualité des soins et, sans doute, de l’accueil (Supplément de la Lettre mensuelle de l’Année gérontologique, décembre 2007) ? Ou si l’association Accueil et Confort a justement généralisé la procédure d’enquête de satisfaction sur l’ensemble de ses établissements, les personnes prises en charge étant invitées à exprimer, au moyen d’un questionnaire, leurs ponts de vue sur la prestation délivrée (Directions, janvier 2008) ?
Peu de temps auparavant, la revue Gérontologie et Société avait consacré une série d’articles à la protection de l’intimité de la personne malade (septembre 2007). Une consultante en gérontologie souligne, par exemple, que les professionnels de l’aide et du soin à domicile devraient prendre garde à ce que leur intrusion n’apparaisse pas comme une violence symbolique. Pour les personnes aidées, partiellement ou totalement privées de leur indépendance, expliquent deux représentants du monde associatif et mutualiste, le domicile est le lieu d’exercice de l’autonomie, en tant que capacité à se donner à soi-même les principes de sa propre vie. Un thérapeute familial en gériatrie rappelle que l’obligation, en établissement, de veiller en permanence sur la sécurité et la santé des personnes âgées dépendantes interdit souvent toute place à l’intime, puisque rien ne doit échapper à la vigilance des professionnels. Un autre de ses confrères livre une réflexion sur les rapports entre intimité et identité : l’involution autour du leit motiv fréquent « je veux retourner chez moi » confronte la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer et son environnement à une souffrance désorganisatrice de l’équilibre familial.
Le Chicago Tribune s’intéresse au même sujet, à partir du film Loin d’elle et de l’histoire d’une ancienne juge à la Cour Suprême, dont le mari est tombé amoureux d’une personne malade de l’établissement où il est hébergé. Un des spécialistes interrogés, directeur d’un centre mémoire à New York, émet l’hypothèse que la maladie d’Alzheimer et les maladies apparentées seraient des états solitaires, résultant d’une série de pertes cumulées tout au long de la vie. Il dit sa conviction que le besoin d’intimité ne disparaît pas en même temps que les facultés cognitives (www.chicagotribune.com, 18 novembre 2007).
Ce sont, comme d’habitude, les Anglo-Saxons qui vont le plus loin dans ce qu’ils appellent l’empowerment, mot quasi intraduisible qui signifie plus ou moins la remise du pouvoir (ou de pouvoirs) à la personne malade. Un institut de l’Ohio a étudié auprès de deux cent quinze couples aidants/personnes malades l’implication de ces dernières dans la prise de décision. Les plus impliquées, sont plus jeunes, de sexe féminin, ont � entre autres – un niveau d’études plus élevé et moins de symptômes dépressifs (The Gerontologist, janvier 2008).
En Ecosse, un groupe de travail indépendant, animé par des personnes malades, mène campagne pour l’amélioration des services et le changement d’attitude envers la maladie d’Alzheimer. Lors d’une convention, à l’échelle de la Grande Bretagne, qui s’est tenue à Manchester, le président et une femme membre du groupe ont fait une présentation intitulée : « Qu’est-ce qui nous empêche d’être acteurs de notre vie ? » (alzheimers.org.uk, décembre 2007).
En Irlande du Nord, l’université de Stirling organise un congrès sur le thème de la citoyenneté des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer (www.dementiacenterni.org). Aux Etats-Unis, un nouveau mouvement d’opinion pour le droit de vote de ces personnes prend de l’ampleur : une commission spéciale du Sénat doit examiner la question fin janvier (news.medill.northwestern.edu, 15 janvier). Mais, dans ce domaine, la France est plutôt en avance puisque la loi de 2007 sur la protection des personnes incapables prévoit expressément que la mise sous tutelle n’exclut pas du droit de voter.
Mettre la personne malade au centre de l’action, cela veut dire aussi, nécessairement, permettre à ses proches de lui donner aide et assistance sans compromettre leur propre santé ou, tout simplement, l’équilibre de leur vie.
Une telle politique ne va pas de soi. Un centre de santé de Nashville (Tennessee, Etats Unis) a suivi les symptômes de dépression chez des aidantes conjointes d’anciens combattants : deux tiers d’entre elles présentaient des trajectoires dépressives (J Am Geriatr Soc, 26 décembre 2007). Des équipes de soins palliatifs et de santé mentale américaines ont étudié un panel de deux cents aidants de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer après le décès de la personne malade : les facteurs majeurs de risque de dépression sont un faible niveau de revenus, un niveau dépressif élevé avant le décès, un fardeau de l’aidant élevé, un soutien familial faible et des comportements à risque (tabac, alcool, etc) (Am J Geriatr Psychiatry, 11 janvier 2008).
Une équipe de gériatres de l’université de Duke (Caroline du Nord, USA) montre que la santé de l’aidant est un facteur de placement en institution dans la moitié des cas. Elle en conclut que les aidants devraient être systématiquement évalués dans les consultations pour la recherche de facteurs prédictifs de placement (Supplément de la Lettre mensuelle de l’Année gérontologique, décembre 2007). Beaucoup se demandent même si le stress de l’aidant n’accélère pas le déclin cognitif du conjoint (www.nytimes.com, 26 décembre 2007). Les sentiments de la perte et du chagrin s’accroissent avec la sévérité de la maladie (The Gerontologist, octobre-décembre 2007).
C’est pourquoi il est fondamental, comme le rappelle Marie-Jo Guisset-Martinez, de la Fondation Médéric Alzheimer, d’assurer des répits à l’aidant. Lorsque ce dernier a pu parler, être écouté sans être jugé, recevoir de l’information et des conseils, le quotidien devient plus supportable (Tambour Battant, décembre 2007). Plus généralement, il convient de développer les liens entre générations, ce qui aiderait à bien vivre ensemble les moments difficiles (Cahiers de la FNADEPA, décembre 2007).
Le gouvernement irlandais vient, lui, de s’engager dans une stratégie nationale en direction des aidants familiaux (Towards 2016). La Carers’ Association a demandé un suivi médical, des formations et une évaluation du couple aidant/personne malade (www.independent.ie, 8 janvier ; www.carersireland.com)

Jacques Frémontier
Journaliste bénévole