Éditorial — Une décision qui interroge : agir au service des malades, avec et sans médicaments

Édito

Date de rédaction :
22 juin 2020

A partir du 1er août 2018, les quatre médicaments symptomatiques de la maladie d’Alzheimer, le donépézil, la mémantine, le rivastigmine et la galantamine ne seront plus remboursés par la Sécurité Sociale. Cette décision est le résultat d’évaluations engagées par la Haute Autorité de santé (HAS) depuis une dizaine d’années. Si l’enchaînement factuel qui a conduit à ce revirement mérite d’être rappelé, cette décision incite également à considérer, à côté du champ du médicament, les autres réponses qui permettent de ralentir le plus longtemps possible les effets de la maladie, réduire au maximum ses conséquences et soulager l’entourage de la personne malade.

Tout en relevant le caractère relativement modeste des effets observés, la Commission de la transparence de la HAS a reconnu en 2007 l’importance du « service médical rendu » par les médicaments dans la prise en charge des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer compte tenu de la gravité de la maladie. L’efficacité des médicaments étant réexaminée tous les cinq ans, la Commission a, à deux reprises, revu sa position à la baisse : d’abord en émettant, en 2011, un avis de service médical rendu faible puis en estimant modeste, en 2016, l’efficacité des médicaments et en pointant des effets indésirables potentiellement graves pour le patient.  Le Pr Clanet, président du comité de suivi du Plan maladies neurodégénératives (PMND), a alors été missionné par Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, pour dresser un état des lieux du parcours de soins dans le cadre de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées. Ce rapport, remis en avril 2017 à la ministre, a relevé les insuffisances du parcours de soins et recommandé prioritairement des réponses non-médicamenteuses. Ces réponses étaient déjà préconisées depuis 2003 en première intention pour certains symptômes psychologiques et comportementaux par l’ANAES (Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé). Le 25 mai 2018, la HAS publie le « Guide parcours de soins des patients présentant un trouble neurocognitif associé à la maladie d’Alzheimer ou de maladies apparentées ». Cette publication a été suivie le 29 mai 2018 des premières annonces d’un « déremboursement » des médicaments, jusque-là pris en charge à 15% par l’assurance maladie et remboursés à 100% pour les malades en affection de longue durée (ALD). Cette déclaration a été confirmée par Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, dans un arrêté du 29 mai 2018, publié le 1er juin 2018.

Pour autant, cette décision ministérielle de dérembourser les médicaments symptomatiques de la maladie d’Alzheimer ne saurait faire le lit de la résignation. Elle doit au contraire nous inciter à scruter davantage les pistes qui s’ébauchent, dans le champ biomédical bien sûr, mais également au-delà. Car il y aussi des réponses non médicamenteuses qui se développent. Et même si elles n’ont pas d’ambition curative, elles méritent d’être davantage prises en considération. Elles peuvent en effet améliorer de manière très concrète et significative les conditions de vie des malades et de leur entourage.

Les réponses non-médicamenteuses, ou, plus exactement, « les interventions psychosociales », visent à améliorer l’autonomie fonctionnelle, l’estime de soi et la qualité de vie de la personne malade et de son entourage. Elles recouvrent des modalités d’intervention très larges comme la stimulation cognitive, l’activité physique, l’aménagement de l’environnement. Ces réponses sont variées, spécifiques aux différents symptômes de la maladie, elles peuvent se dérouler en groupe ou en sessions individuelles, au domicile de la personne, en établissement ou à l’extérieur. C’est ainsi que les équipes spécialisées Alzheimer (ESA) composées de psychomotriciens, d’ergothérapeutes et d’assistants de soins en gérontologie, peuvent venir au domicile des personnes malades. Elles les aident à maintenir leur autonomie en suscitant leurs capacités. Elles contribuent à diminuer la fréquence et l’intensité d’éventuels troubles du comportement et encouragent et soutiennent les proches de la personne.

Plusieurs interventions non-médicamenteuses ont fait la preuve scientifique de leur efficacité. Il est ainsi reconnu qu’un programme personnalisé de stimulation cognitive, délivré dans le cadre de séances individuelles, a un impact important sur les capacités cognitives des personnes malades et permet de repousser de six mois leur entrée en établissement d’hébergement (étude française ETNA3). Des interventions peuvent également être mises en place au bénéfice des aidants. Des programmes de soutien leur permettent de soulager la charge émotionnelle et le stress. Des formations les aident, par exemple, à repérer les besoins non satisfaits des personnes malades, à identifier des signes de douleur ou à adapter certains comportements.

Ces programmes remportent une adhésion croissante auprès des personnes malades, de leur entourage et des professionnels. Cependant, à l’heure actuelle les études sur leur efficacité, leur reproductibilité, leurs spécifications, et leur rapport coût/utilité ne sont pas suffisamment approfondies pour permettre aux pouvoirs publics de les intégrer dans les politiques de soins.

Face à un phénomène aussi complexe que la maladie d’Alzheimer, une approche globale s’impose donc. Elle implique, à côté de l’effort en matière de recherche biomédicale qui doit bien évidemment se poursuivre, de renforcer l’investissement en faveur de la recherche médico et psychosociale, très insuffisant, afin d’intégrer ses résultats dans les pratiques. Pour y parvenir, il est nécessaire que les personnes malades, leurs aidants et les professionnels aient connaissance des interventions psychosociales et des moyens d’en bénéficier. Or, pour être connues, il manque encore à ces interventions d’être totalement reconnues.

La rédaction