Editorial - Quand la maladie (é)prouve nos solidarités

Édito

Date de rédaction :
01 décembre 2017

Et si le grand défi des années à venir n’était pas de trouver un traitement pour « soigner » la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer mais de s’organiser collectivement pour « vivre avec » ?

De tâtonnements en tentatives inabouties, les différents essais thérapeutiques se suivent et se ressemblent : aucun traitement ne permet aujourd’hui de guérir la maladie ni même de la prévenir. « Pendant trop longtemps, l’histoire des médicaments pour la maladie d’Alzheimer n’a été qu’une succession d’échecs », va même jusqu’à estimer Howard Fillit, de la Fondation américaine Alzheimer’s Drug Discovery, qui finance des recherches pré-cliniques. Du côté des traitements modifiant le cours de la maladie, les preuves d’efficacité sont encore insuffisantes, si bien que « l’objectif curatif n’est plus recherché » : il ne s’agit plus aujourd’hui d’empêcher le déclin cognitif mais de le ralentir et différer l’entrée en dépendance (alzheimersnewstoday.com, 26 octobre 2017).

Parallèlement, notre société s’est organisée et a fait de la maladie d’Alzheimer un enjeu de santé publique et une cause nationale. Pour autant, la maladie d’Alzheimer et les autres maladies apparentées n’ont été inscrites à l’agenda politique que récemment et la maladie d’Alzheimer continue à (é)prouver nos liens sociaux et nos solidarités, individuelles et collectives.

Résiliente et inventive, notre société s’adapte et crée de nouvelles formes de solidarités pour soutenir et accompagner ses aînés atteints d’une maladie neurodégénérative. La formation et la sensibilisation de la jeunesse à la « démence » en sont une (Psychogeriatrics, 2 octobre 2017). Jess Baker de l’Université de Nouvelles-Galles-du-Sud (Sydney) et Christine Bryden, qui vit avec une démence depuis 22 ans, mettent au point un programme éducatif en ce sens pour apprendre aux enfants à entrer en relation avec une personne malade. En même temps, dans le Bas-Rhin, de jeunes adultes accompagnent, dans le cadre d’un service civique, des résidents en EHPAD atteints d’une maladie d’Alzheimer (www.service-civique.gouv.fr, 5 décembre 2017). « Les enfants sont nos futurs citoyens » déclare Jess Baker : développer un programme éducatif permet de poser les fondations d’une société plus accueillante aux personnes malades.

De la prise de conscience de la maladie au souci de la personne malade, les solidarités intergénérationnelles structurent, entre devoir et liberté, notre « vivre ensemble ». Le devoir, déjà, d’aider son parent, son conjoint ou sa sœur comme Cécile, 91 ans, qui en plus de s’occuper de sa sœur malade, « se fait un devoir d’aller divertir d’autres personnes âgées » en maison de retraite (www.journaldemontreal.com, 20 octobre 2017). Mais notre devoir vis-à-vis des personnes malades est aussi collectif : « il faut imaginer de nouveaux dispositifs » (Actualités sociales hebdomadaires, 17 novembre 2017) car la société et le monde du travail sont encore loin d’apporter aux aidants le soutien et la reconnaissance dont ils ont besoin. La liberté, ensuite, c’est celle de pouvoir refuser d’être aidant « parce que, parfois, son vécu, son histoire personnelle, ses propres difficultés ne le permettent pas » explique Jean Ruch, co-fondateur de l’association Libres et aidants.

Ces solidarités familiales s’appuient aussi sur la solidarité nationale, elle-même définie par le contrat entre générations. Ces dernières années, la prise en charge de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées s’est traduite en partie par le développement de structures spécialisées d’accueil et d’hébergement des personnes malades. Cependant, les personnes y entrent de plus en plus âgées et dépendantes (DREES, juillet 2017) et la plus grande partie de la prise en charge repose encore sur les familles, notamment au début de la maladie.

La solidarité intergénérationnelle est aussi descendante puisque, dans l’attente de l’arrivée d’un traitement efficace, ce sont les personnes actuellement malades qui participent aux essais cliniques. Par cet investissement, elles concourent à faire progresser la recherche, la prévention et le soin au bénéfice des générations futures. Mais en l’absence de traitement, si nous voulons maintenir le « vivre ensemble » et les solidarités intergénérationnelles, le rôle des politiques sociales de demain sera double : elles devront non seulement déployer les moyens institutionnels de la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes malades mais aussi garantir le maintien des solidarités et de la cohésion sociale.

Ségolène Charney

Éditorialiste