Éditorial — Prouver et éprouver : deux facettes d’une même exigence
Édito
Pas un colloque, congrès, séminaire ou manifestation sur le sujet de l’accompagnement de la maladie d’Alzheimer sans qu’il ne soit question des interventions non médicamenteuses, également appelées interventions psychosociales et environnementales. Et pourtant, même si les interventions emblématiques comme la musicothérapie font l’objet de nombreuses discussions, de retours d’expérience, sur le terrain, seulement 32 % des EHPAD proposaient cette activité thérapeutique en 2017, selon la dernière enquête nationale de la Fondation Médéric Alzheimer.
Plusieurs raisons peuvent expliquer cet écart entre un intérêt confirmé pour ces interventions et leur mise en œuvre encore timide sur le terrain. Outre l’absence de consensus sur une codification » de leur pratique (Quelle fréquence optimale ? Quelle durée ? Quelle(s) modalité(s) précise(s) ?) et les questions de moyens à la fois financiers, humains et, dans une moindre mesure, matériels, c’est d’abord l’absence de preuve de leur efficacité qui est avancée.
Mais qu’est-ce qu’une preuve (terme très souvent utilisé au singulier) ? Au sens premier, la preuve désigne un élément matériel qui démontre ou établit de manière « irréfutable » la vérité » ou la « réalité » d’une situation. D’où, pour certains, la quête inatteignable de LA preuve qui démontre de manière indubitable ou qui permet de clore définitivement un débat, une discussion. Cette preuve est pourtant rarement définitive, ne serait-ce que parce que, du fait du progrès des connaissances, les « vérités » d’un jour peuvent être remises en cause le lendemain.
Dans le domaine de la quête de la preuve, deux approches coexistent : celle de la recherche biomédicale et celle des sciences humaines et sociales.
Attachée au concept d’evidence-based (evidence-based medicine, evidence-based pratice, evidence-based policy…), l’approche biomédicale s’appuie sur des données quantitatives statistiques et sur un postulat : la population étudiée est homogène, ou du moins on tend à la rendre le plus homogène possible. Or des résultats quantitatifs statistiquement significatifs ne sont pas toujours disponibles dans tous les champs relatifs à la maladie d’Alzheimer. Par ailleurs, tous ceux qui sont au contact de personnes vivant avec la maladie d’Alzheimer savent que deux personnes malades ne se ressemblent ni en termes cliniques, ni en termes d’évolution, de ressenti etc.
De son côté, l’approche en sciences humaines et sociales apporte la preuve d’une manière différente : il s’agit de « mettre à l’épreuve », d’« éprouver » ce que l’on veut étudier. L’usage peut démontrer si une action produit les résultats souhaités. Si les données quantitatives sont importantes, les données qualitatives ne sont pas pour autant disqualifiées. Des études de cas, des retours d’expérience sur des usages et des pratiques, par exemple, apportent également beaucoup d’enseignements ; l’innovation est souvent davantage mise en lumière par des études de cas que par des études contrôlées randomisées.
Enfin, les personnes malades, les aidants et les professionnels sont porteurs de valeurs, de connaissances et d’émotions qui vont influencer la prise de décision, l’application d’une solution pratique dans l’accompagnement au quotidien. Alors que l’approche evidence-based est insensible à ces données de contexte (aspects socioculturels, émotionnels, psychosociaux), leur prise en compte constitue paradoxalement pour la gériatrie et la gérontologie une exigence majeure de l’évaluation, de la prise en charge et de l’accompagnement…
Il ne s’agit pas d’opposer ces deux approches mais de les concilier sur le plan collectif et sur le plan individuel. Il nous appartient en effet de surmonter la tension entre l’objectif d’universalité des données probantes issues de la recherche (collectif) et la singularité de la situation de chaque personne malade (individuel). Ainsi, données probantes et expérience du professionnel, du malade, de l’aidant, issue des pratiques, sont deux facteurs explicatifs complémentaires. En somme, prouver et éprouver constituent les deux facettes d’une même exigence…
La rédaction