Éditorial — Mis en scène
Édito
Au cinéma, à la télévision, dans les romans autobiographiques ou fictionnels, le sujet de la maladie d’Alzheimer est de plus en plus présent : faut-il s’en réjouir ?
A priori oui, puisque cela donne à la maladie d’Alzheimer une plus grande visibilité et contribue à dépasser les stéréotypes pesant encore sur les personnes malades, qui « se sentent souvent stigmatisées, réduites à une série d’étiquettes, de symptômes ou de termes médicaux » (www.francealzheimer.org, mars 2018). Mais la banalisation d’un sujet a ses revers. Elle l’expose en premier lieu à la caricature. Avec la figure du « papi gâteux », la personne malade est représentée sous les traits d’un sujet indésirable. Avec celle du « vieillard » combatif, elle prend l’étoffe d’un héros, mais un héros que l’on ne voudrait pas devenir. Le second écueil a trait aux productions qui édulcorent leur récit et mettent en scène de manière superficielle des personnages atteints de la maladie d’Alzheimer mais esquivent la réalité de la maladie.
« Comment penser, travailler et incarner la maladie d’Alzheimer à travers des corps jeunes et vivaces ? », s’interroge la Compagnie de théâtre Autopoïèse de Toulouse (www.ladepeche.fr, 23 janvier 2018).
Fait observé depuis quelques années, les productions culturelles proposent plus souvent des personnages complexes et des intrigues riches. Il n’est plus question seulement de noirceur mais aussi d’humour, de joie, de poésie. Avec Tu te souviendras de moi, le dramaturge québécois François Archambault parle de la maladie d’Alzheimer « avec pertinence, intelligence et surtout drôlerie ». Pour le metteur en scène Daniel Benoin, « c’est en définitive un formidable hymne à la vie et au bonheur que nous propose l’auteur » (www.anthea-antibes.fr, 13 mars 2018). Fait nouveau, les récits sont plus documentés et informés et la maladie est traitée dans sa complexité. C’est le cas par exemple dans la pièce La mémoire aux oubliettes de Louis Paleaz, qui met en scène l’évolution clinique de la maladie et qui est jouée par des professionnels de santé : « À chaque nouvelle étape de sa progression (..) une vidéo projette en toile de fond les explications scientifiques et médicales » de la maladie (www.leveil.fr, 31 janvier 2018).
Conséquence d’une représentation de la vieillesse plus fréquente dans les fictions, filon porteur pour les productions à la recherche de nouveaux thèmes, capacité des créateurs à s’emparer de tous les sujets, même les plus difficiles, la maladie d’Alzheimer n’est plus l’apanage des scientifiques et investit désormais toutes les formes d’expression artistique.
Force est de s’en réjouir. Pour autant, qui mieux que les personnes malades est fondé à parler de la maladie d’Alzheimer et de leur quotidien ? Le théâtre du West Yorkshire l’a bien compris et il présente le festival « théâtre, démence et espoir », créé par des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Nicky Taylor, chercheuse associée au théâtre, explique que les récits des expériences vécues par les personnes malades sont rarement entendus et le festival permet de présenter un programme ambitieux qui élargit la façon de parler de la maladie. « En plaçant les personnes malades en position de prise de décision, nous pouvons faire face (..) aux limitations que le diagnostic apporte dans son sillage, et célébrer plutôt leur potentiel et leur créativité » explique la chercheuse (www.wyp.org.uk, 12 mars 2018).
Mieux que quiconque, les personnes malades contribuent, sur scène et dans le texte, à déconstruire les stéréotypes de la maladie et à répondre avec force aux préjugés. Ces initiatives sont encore trop limitées. Encourageons cette dynamique.
Ségolène Charney
Éditorialiste