Éditorial — D’un regard qui dévisage à un regard qui envisage

Édito

Date de rédaction :
16 juin 2020

Qu’il s’agisse des défis auxquels nous expose l’accompagnement des personnes âgées ou bien le financement de la perte d’autonomie, nous entrons dans une période de réflexion intense. Comme tous les pays développés, la France est confrontée à un double phénomène. Le premier est démographique et concerne le vieillissement de la population. Le second est épidémiologique et a trait à l’émergence des maladies chroniques. Deux institutions françaises significatives, investies chacune d’une autorité morale reconnue, ont récemment pris l’initiative de se saisir elles-mêmes de ces sujets.

Le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) a pour sa part rendu le 15 février dernier un avis argumenté sur les enjeux éthiques du vieillissement qui vient d’être publié. Plus encore que le parti pris résolument politique de son propos, les mots qu’il a choisis pour dresser son constat l’ont exposé à la polémique. Pour les sages qui le composent, il existerait une dénégation systématique du vieillissement qui conduirait à « la concentration » de nos aînés les plus fragiles. Tout se passerait comme si vieillir était devenu une maladie que la médecine s’était donnée pour mission de prévenir ou de traiter. En conséquence, cette approche conduirait à l’exclusion des personnes âgées et à leur confinement, souvent dans les EHPAD, certes pensés pour leur sécurité, mais où les moyens humains, insuffisants, les exposeraient à une fin de vie empreinte d’une grande souffrance à la fois morale et sociale.

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a, avec son rapport « Vieillir dans la dignité », émis en avril dernier un avis qui fait écho à plusieurs pétitions de citoyens. Ces dernières portaient sur les EHPAD et soulignaient notamment l’inadéquation des moyens humains et financiers affectés à leurs missions. Le CESE propose une approche prospective et décloisonnée du médical, du social et du médico-social qui englobe la prévention, l’anticipation et le financement de la perte d’autonomie, ainsi que l’adaptation de l’offre d’hébergement. La « troisième chambre » souligne, entre autres, les enjeux liés à la diminution des inégalités entre les territoires, aux moyens donnés aux EHPAD et au recrutement, comme à la qualification des professionnels qui interviennent auprès des personnes âgées.

Ces deux prises de position, spontanées et concomitantes, nous éclairent, chacune à sa manière, sur les conditions d’un accompagnement global et respectueux des personnes âgées dépendantes. Si ces instances de réflexion et de régulation captent opportunément notre attention, elles ne sauraient à elles seules changer la donne. Dans le chantier qui s’ouvre, comme souvent, la question du financement va tenir une place centrale. La création d’un cinquième risque ou, plus modestement, d’une deuxième, voire une troisième journée de solidarité a, parmi d’autres pistes, été évoquée, tout comme le rôle que pourrait jouer l’assurance privée. Sans préjuger de l’issue de ce dossier, son approche financière ne saurait constituer un prisme d’analyse exclusif et il conviendra de veiller à inscrire la personne au cœur de la réflexion et des solutions qui seront discutées.

Car avant même d’ébaucher des lignes d’action, ces deux avis nous renvoient à nos peurs et à nos représentations sociales de la vieillesse et de la dépendance. Professionnels et médias ont un rôle à jouer pour faire évoluer les mentalités, à condition d’éviter les raccourcis et les caricatures sur le vieillissement et les troubles cognitifs. L’éducation des plus jeunes constitue par ailleurs un levier puissant. Pour le dire avec Cocteau, « il faut passer d’un regard qui dévisage à un regard qui envisage ».

La Rédaction