Éditorial — Des robots sociaux, pour quoi faire ?
Édito
Ils s’appellent Paro, Nao, Zora, Kompaï ou encore Buddy, ils sont des robots dits « sociaux », programmés pour reproduire les comportements de l’homme et interagir avec lui. Également appelés robots « affectifs » ou robots « interactifs », ces objets qui sont apparus récemment dans les EHPAD, cristallisent aussi bien les peurs que les fantasmes. Objets de médiation ou compagnons humanoïdes : quelles fonctions souhaitons-nous attribuer aux robots sociaux ?
Laurence Devillers, chercheuse à l’Université Paris-Sud, croit en la capacité des robots sociaux à jouer demain un rôle important dans l’accompagnement des personnes malades. Les études menées en EHPAD montrent par exemple qu’en présence du robot Paro, qui a l’apparence d’un bébé phoque, les échanges de regards entre résidents et soignants sont plus fréquents, les positions de face-à-face sont privilégiées, ce qui stimule la communication non verbale du résident (Carrion-Martinaud ML et Bobilier-Chaumon ME., Dialogue Familles Couples 2017). Les effets sur l’activité motrice ont aussi été mesurés et d’après les résultats d’une étude menée par Brian Draper, de l’École de psychiatrie de l’Université de Nouvelle-Galles-du-Sud (Australie), l’utilisation du robot Paro réduit significativement l’agitation des personnes malades (Maturitas, Avril 2018). Le robot social, objet de médiation, a aussi une fonction thérapeutique : il permet de stimuler les émotions et les capacités des personnes malades.
Parmi les robots sociaux, les robots à forme humanoïdes comme Zora, Kompaï ou Buddy vont plus loin. Dotés de caractéristiques humaines, par leur aspect extérieur et par leurs compétences, ils sont des outils de stimulation des interactions sociales. Leur capacité à parler, à raconter des histoires et l’attachement qu’ils suscitent auprès des personnes malades leur confèrent une fonction de compagnon de vie. Maud Verraes, directrice marketing de la société qui a conçu le robot Buddy, explique que celui-ci a été pensé pour être « un robot au service des personnes en perte d’autonomie, qui veille sur elles et qui assure un contact extérieur permanent en leur rappelant par exemple les évènements et les rendez-vous » (Animagine, février-mars 2018).
Avec de telles propriétés, le robot ne risque-t-il pas de mettre la relation humaine au second plan ? Pour Sandra Bertezene, chercheuse au Conservatoire national des Arts et métiers, cette croyance très répandue en France n’est ici pas justifiée. Au contraire, en France, l’adaptation des robots sociaux au contexte des EHPAD est moins envisagée comme une solution pour automatiser les tâches réalisées par des humains que comme un moyen d’augmenter les possibilités de travail entre les professionnels et les résidents. Laurence Devillers rappelle aussi qu’il existe encore de nombreux défis de recherche à relever pour construire des robots pouvant s’adapter facilement aux besoins de la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer. Pour que ces objets ne deviennent des assistants, ils devront avant toute chose « apprendre à respecter une certaine éthique de relation » avec la personne malade (Devillers L. Des robots et des hommes. Mythes, fantasmes et réalité, Mars 2017).
La France, contrairement à d’autres pays comme le Japon, l’Allemagne ou les pays scandinaves, utilise encore assez peu ces objets mais les pratiques évoluent depuis quelques années, ce qui alimente une réflexion éthique sur la cohabitation entre l’Homme et les robots. A mesure que progresse la complexité des robots dans les interactions affectives et sociales, leur utilisation auprès des personnes malades d’Alzheimer soulève notamment la question du risque de confusion entre l’humain et la machine.
Ségolène Charney
Éditorialiste