Chercher de l’aide : mission impossible ?
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
La famille s’isole et tarde à appeler à l’aide. Joëlle, épouse d’une personne malade et lauréate d’un concours d’écriture co-organisé par France Alzheimer en 2012, dans un texte intitulé « ménage à trois », appelait Alzheimer « ce tiers infâme, vorace, infatigable, ayant pris possession des lieux en même temps que de ta cervelle. » « Une famille entre en Alzheimer comme on entre dans un ordre, la béatification en moins », s’exprime un autre aidant. Jean Bouisson, professeur émérite de psychologie de l’Université de Bordeaux, explique : « le mot d’aidant, très utile pour la reconnaissance, est aussi porteur de confusion, parce que tous les aidants ne vivent pas les choses de la même manière. Ce qu’il faut mettre au centre, c’est le lien. Pour certains, ce lien est tellement naturel, il y a un tel lien d’amour qu’évidemment, ils n’ont pas l’idée qu’ils pourraient aller chercher de l’aide ailleurs. D’autres facteurs entrent en ligne de compte dans le ressenti que l’aidant a de son rôle. Plus sa vie sociale est riche, moins il aura de risques de dépression, mais être aidant d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer ne laisse que peu de temps pour les autres relations. On peut aussi avoir peur d’être mal jugé par le voisinage si on ne s’occupe pas de son parent. Ou bien aussi parce que la famille vous désigne comme aidant parce que les autres sont loin, ou pour d’autres raisons. L’aidant, et lui seul, va récolter le poids de l’aide, et devra en plus rendre des comptes à sa famille. Il sera souvent critiqué parce qu’on estimera qu’il n’en fait pas assez. » Joël Jaouen, président de France Alzheimer, témoigne : « on est pris dans le flot, on culpabiliserait de ne pas y arriver et le plus grand obstacle, c’est le déni. Celui des malades, mais aussi celui des aidants. Moi-même, quand mon père m’a demandé, en parlant d’un stylo, si je pouvais lui passer “le truc qui sert à écrire”, je n’ai pas voulu voir qu’il y avait un problème. J’ai mis du temps à l’admettre… Et il y a un moment où on arrive au paroxysme de la fusion. La première fois que mon père, à l’approche de la fin, m’a appelé Papa, j’ai été anéanti : le rapport qui s’inverse est terrible à vivre. Mon parcours à France Alzheimer depuis quelques années, alors que je n’ai demandé aucune aide pendant la maladie de mon père et que je me suis débrouillé tout seul, est sans doute une façon d’être avec mon père. J’ai tellement souffert de ce qui lui est arrivé que j’ai envie d’aider les autres à vivre ça le moins mal possible, même si je ne peux pas faire de miracles.»
Thérizols AC. Les aidants familiaux au bout du rouleau. Le Cercle Psy 2016 ; 19 : 70-73. Décembre 2015-janvier 2016.