Bien dormir (mais pas trop) permet d’éliminer les protéines toxiques du cerveau
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Dans l’émission Les Savanturiers, animée par Fabienne Chauvière, sur France Inter, le neurobiologiste Pierre-Marie Lledo, qui dirige le département de neurosciences de l’Institut Pasteur, explique que le sommeil sert à faire du ménage dans nos souvenirs : « Avant de vous endormir, vous avez eu plein d’informations, certaines utiles, certaines futiles… Vous avez besoin de vous endormir pour faire le tri et pour mémoriser ce qui a été retenu comme “utile” ». La clé de certaines maladies dégénératives, entre autres la maladie d’Alzheimer, pourrait venir d’un dysfonctionnement du cerveau lorsqu’il dort : on a récemment découvert que notre cerveau avait un moyen d’éliminer naturellement les protéines insolubles qui s’y accumulent (un peu comme une chasse d’eau) – et cela se fait quand nous dormons. Si nous dormons mal, ce mécanisme fonctionne mal. Un groupe d’experts internationaux, mené par Barry Boland, du département de pharmacologie et thérapeutique de l’Université de Cork (Irlande), fait le point sur les mécanismes d’élimination des protéines neurotoxiques du cerveau par le système autophagique [processus d’auto-digestion de composants intracellulaires par le lysosome (vésicules servant de « poubelles cellulaires »)]. Différents travaux soulignent que l’insomnie est un facteur de risque modifiable du déclin cognitif. En Grèce, Maria Basta et ses collègues, du département de psychiatrie de l’hôpital universitaire d’Héraklion, suivent une cohorte de 3 066 personnes âgées de 60 à 100 ans, vivant à domicile (cohorte crétoise du vieillissement) ; 64.6 % présentent les symptômes de l’insomnie. Ces symptômes sont significativement associés au sexe féminin, au veuvage, à la consommation de benzodiazépines [lors d’utilisation prolongée ou à doses élevées, les benzodiazépines entraînent une dépendance qui se traduit par un syndrome de sevrage et un effet rebond (c’est-à-dire un retour de l’insomnie)] et à des troubles physiques. Les symptômes de l’insomnie sont associés à un risque significativement accru de déficit cognitif. L’épidémiologiste Miia Kivipelto, du département de prévention des maladies chroniques de l’Institut national de la santé de Finlande, et ses collègues de l’Institut Karolinska de Stockholm (Suède), ont analysé les troubles du sommeil dans 3 études en population générale, portant sur 1 446 personnes dans la dernière partie de leur vie (entre 70 et 84 ans à l’inclusion, suivies pendant 3 à 10 ans) et au milieu de la vie (vers l’âge de 50 ans, suivies pendant 21 à 32 ans). L’insomnie au milieu de la vie est associée à un risque de démence accru de 24 % et l’insomnie à la fin de la vie à un risque doublé. Paradoxalement, trop dormir augmente aussi le risque de troubles cognitifs : une durée de sommeil supérieure à 9 heures est associée à un risque de démence multiplié par 4 (Sindi S et al). Une étude menée par Adam Spira, de l’Institut national du vieillissement américain (NIA), auprès de 123 personnes vivant à domicile, âgées en moyenne de 60 ans à l’inclusion et suivies pendant 16 ans, montre qu’un état de somnolence durant la journée est associé à un risque 2.5 fois plus élevé de maladie d’Alzheimer. Des activités durant la journée et de bonnes nuits de sommeil pourraient être un moyen efficace de prévenir ce risque.
www.sleepfoundation.org/sleep-disorders-problems/dementia-and-sleep, 23 septembre 2018. www.franceinter.fr/vie-quotidienne/a-quoi-sert-le-sommeil, 14 août 2018.
Basta M et al. Association between insomnia symptoms and cognitive impairment in the Cretan Aging Cohort. Eur Geriatr Med, 27 juillet 2018.
https://link.springer.com/article/10.1007/s41999-018-0086-7. Boland B et al. Promoting the clearance of neurotoxic proteins in neurodegenerative disorders of ageing. Nat Rev Drug Discov 2018; 17(9): 660-688. Septembre 2018. www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/30116051. Sindi S et al. Sleep disturbance and dementia risk: a multicenter study. Alzheimers Dement, 11 juillet 2018. www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/30030112. Spira AP et al. Excessive daytime sleepiness and napping in cognitively normal adults: associations with subsequent amyloid deposition measured by PiB PET. Sleep, 5 septembre 2018.www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/30192978. www.santemagazine.fr/actualites/la-somnolence-en-journee-un-signe-precurseur-de-maladie-dalzheimer-333491, 10 septembre 2018.