Alzheimer : l’éthique à l’écoute des petites perceptions, de Véronique Lefebvre des Noettes
Société inclusive
« Quoi de plus tragique que la maladie d’Alzheimer ? » s’interroge Véronique Lefebvre des Noettes, psychiatre et gériatre au centre hospitalier Émile-Roux (Assistance publique- Hôpitaux de Paris), membre du conseil scientifique de l’’Espace national d’éthique sur les maladies neurodégénératives et la maladie d’Alzheimer. Maladie de la mémoire, elle engage et altère l’être, le sens du chez-soi, le langage et la communication, le jugement et le raisonnement, et mobilise des enjeux de reconnaissance de soi et des autres. Pourtant, la maladie d’Alzheimer n’efface pas tout d’une vie. Face aux désastres humains qu’elle provoque sur les malades mais aussi sur les proches et la société, l’auteur défend une éthique du soin « incarnée » : l’esprit des de-mens [en latin : privé d’esprit] est toujours là, il se manifeste par la persistance, la permanence d’une intelligence souterraine affective et émotionnelle archaïque encore mobilisable. Pour Véronique Lefebvre des Noettes, l’oubli n’est pas que l’antithèse de la mémoire : il peut aider à supporter le présent. L’oubli de la personne atteinte de démence, souvent considéré par la société comme un effondrement de l’être, qui menace l’existence et qui porte de déficits irrémédiables, peut aussi avoir une fonction d’« adaptation salvatrice ». La mémoire est sélective, tant pour les souvenirs que pour l’oubli. Personne ne choisit d’oublier : l’oubli est l’enfouissement d’une trace mnésique, parfois douloureuse ou inutile, nous permettant de continuer à fonctionner au présent et de nourrir le futur. Ainsi, l’oubli est parfois aidant pour supporter l’insupportable de l’évolution vers un néant cognitif. « L’éthique soignante doit nous guider sur les chemins cahoteux de nos vies faites d’oublis et de souvenirs, de créativité et d’altérations, de consolations joyeuses et d’adaptations surprenantes à un présent où le passé remanié se fait une place acceptable dans le présent », souligne la psychiatre. « Pour nous, soignants, explorateurs des petits riens, de signifiances minimes, il me semble essentiel de se donner les conditions de possibilités, d’être attentif à l’autre, d’être des guetteurs de souvenirs, laisser faire et laisser dire, accompagner dans la nouvelle donne du temps suspendu, du passé magnifié par la maladie de la mémoire, la sensorialité de l’odeur des croissants chauds du dimanche, des bras de maman, du jardin extraordinaire. »
Lefebvre des Noettes V. L’oubli démentiel : effondrement ontologique ou adaptation salvatrice ? Neurol Psychiatr Gériatr 2018 ; 18 : 274-278. Décembre 2018. Lefebvre des Noettes V. Alzheimer : l’éthique à l’écoute des petites perceptions. Toulouse : Érès. 224 p. 6 septembre 2018. ISBN : 978-2-7492-6086-0. www.editions-eres.com/ouvrage/4264/alzheimer-l-ethique-a-l-ecoute-des-petites-perceptions.