« Mon amant Alzheimer »
Société inclusive
La Vaudoise Karin Clivaz, épicière âgée de cinquante-quatre ans, vit avec la maladie d’Alzheimer depuis quatre ans. « Le moment le plus difficile de la journée, c’est le matin », explique-t-elle. « Chaque jour, je me réveille avec mon amant Alzheimer. M’habiller me prend un temps fou. » Le laçage des chaussures est devenu trop difficile. Les fermetures éclair opposent également de la résistance. « J’arrive à prendre seule mon petit-déjeuner, mais, une fois sur deux, le pot de confiture finit par terre. Avec la maladie d’Alzheimer, c’est la motricité fine qui disparaît en premier. » Elle parle de sa tristesse de ne pouvoir s’occuper de ses deux petits-enfants, de ne plus parvenir à cuisiner. Elle cherche parfois ses mots, sa langue fourche régulièrement. Ses gestes sont imprécis et elle se rend compte de tout cela, sans se plaindre. Son mari complète ses phrases au besoin. « Pascal est toujours à mes côtés. Combien de couples se séparent pour des broutilles ? Moi, j’ai énormément de chance. » La commune leur a permis de profiter d’un appartement subventionné à deux pas de l’épicerie. Le voisinage les épaule. « Quand on n’a presque plus rien, chaque geste de soutien, chaque encouragement est une perle. » Mais Karin ne veut pas fréquenter un groupe de malades jeunes : « je n’en ai pas envie, ma vie me plaît malgré la maladie. » Plus le temps passe, plus Karin Clivaz semble déboussolée. Elle parle de sa jeunesse en Iran, du riz basmati qu’elle mangeait là-bas et qu’elle ne sait plus cuisiner, saute du coq à l’âne. La notion du temps n’est plus très claire, la lecture de l’heure et des textes devient compliquée. Son sourire communicateur ne s’évapore qu’une seule fois. Ses yeux deviennent humides lorsque Pascal admet : « entre nous, ce n’est plus comme avant. Nous continuons à aller au restaurant, mais nous ne pouvons plus parler à bâtons rompus. Si nous sommes ensemble, je dois m’occuper d’elle : j’ai un enfant de plus.» Et Karin Clivaz, de conclure, lucide : « le plus dur, c’est que je ne vis plus dans les mêmes conditions qu’avant, alors que je suis toujours la même. »