Le corps vieillissant
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
Les revues Gérontologie et Société et Santé mentale consacrent toutes deux un dossier au corps vieillissant. Pour les sociologues Sébastien Dalgalarrondo et Boris Hauray, de l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux, « le corps se manifeste avant tout comme une sentinelle : objet d’inquiétude, il est à l’origine de ces “coups de vieux” aussi inattendus que douloureux. Cependant, cette expérience peut se replacer dans un vécu plus large et plus positif du vieillissement. Pour les auteurs, il est nécessaire de laisser exister et de faire connaître différentes cultures du vieillissement. » Fabrice Gzil, docteur en philosophie et responsable du pôle Études et recherches à la Fondation Médéric Alzheimer, analyse les cent dernières pages du Temps retrouvé de Marcel Proust, où le narrateur est frappé, lors d’une matinée chez les Guermantes, par le vieillissement brutal des personnages qu’il a connus et par l’influence considérable que le temps a eue sur leur corps, le visage en particulier. C’est l’épisode bien connu du Bal des têtes, galerie de portraits des personnages du roman. Cette réflexion profonde sur les rapports entre le corps et le temps suggère que le temps ne doit pas être considéré comme une force destructrice ou créatrice s’exerçant de l’extérieur sur les corps : Proust nous invite au contraire à envisager les corps vieillissants comme des corps où le temps est « incorporé. » Les sociologues Vincent Caradec et Thomas Vannienwenhove, du centre de recherche « Individus, épreuves, sociétés » (CeRIES) proposent une distinction analytique entre trois registres de l’expérience corporelle : le corps organique, l’apparence et l’énergie, qui expriment respectivement des préoccupations en matière de santé, de beauté et de forme. Puis ils étudient le « travail » pratique et symbolique que les personnes confrontées aux effets de l’âge exercent sur leur corps. Enfin, à travers le concept de « déprise », ils interrogent le rôle du corps dans les changements qui se produisent dans le rapport au monde au fil du vieillissement. La déprise peut être définie comme le processus de réaménagement de la vie qui se produit au fur et à mesure que les personnes qui vieillissent sont confrontées à des difficultés croissantes : une fatigue plus prégnante ; des problèmes de santé et des limitations fonctionnelles ; une conscience accrue de leur finitude ; la disparition d’une partie de leurs contemporains ; une attitude surprotectrice des proches ; un monde extérieur de moins en moins accueillant, peu adapté pour elles et dans lesquelles elles sont exposées aux manifestations variées de l’« âgisme ». Les transformations corporelles sont les déclencheurs de la déprise et les « entours sociaux », des supports pour le maintien de prises. Pour Jean-Philippe Pierron, de la Faculté de philosophie de l’Université Jean Moulin – Lyon 3, « ne sont vieux que ceux qui sont vivants. Vieillir peut être l’art de rester vivant, non en se maintenant en vie mais en tentant d’exister. »
Dalgalarrondo S et Hauray B. Interpréter son vieillissement. Gérontologie et société 2015 ; 148(37) : 23-34. Gzil F. « Le Bal des têtes » : Proust et le corps vieillissant. Gérontologie et société 2015 ; 148(37) : 73-81. Caradec V et Vannienwenhove T. L’expérience corporelle du vieillissement. Gérontologie et société 2015 ; 148(37) : 83-94. Octobre 2015. Pierron JP. Faire ou être son âge ? Santé mentale 2015 ; 203 : 80-85. Décembre 2015.