Éditorial — Penser l’avenir

Édito

Date de rédaction :
21 janvier 2016

« Et si l’explosion des démences était moins forte que prévu ? » (www.lesechos.fr, 15 février 2016). Une étude menée en collaboration entre les équipes de santé publique des universités de Boston (USA) et de Bordeaux apporte aujourd’hui cette lueur d’espoir : à partir des données d’une cohorte de cinq mille deux cents personnes âgées de soixante ans ou plus, suivies depuis 1975, les autorités américaines observent un déclin progressif de l’incidence (nouveaux cas) de la démence à tout âge, dans la population générale, avec une réduction moyenne du risque relatif de 20% tous les dix ans. Les progrès réalisés dans la prévention des maladies cardiaques et le traitement des accidents vasculaires cérébraux paraissent donc porter leurs fruits (The New England Journal of Medicine, 11 février 2016). L’étude de la prévalence (c’est-à-dire des cas existants) par un groupe d’experts européens opérant dans quatre pays (Suède, Pays Bas, Royaume Uni, Espagne) ne montre des résultats aussi clairement encourageants que pour l’Angleterre : moins 22% depuis vingt à trente ans (Lancet Neurology, janvier 2016).

Les prévisions quantitatives extrêmement sombres, diffusées dans les médias depuis des années, resteraient valables pour la Chine, l’Inde et l’Afrique, mais devraient sans doute être sensiblement modérées pour l’Europe et l’Amérique du Nord. Cela ne signifie évidemment pas qu’il faudrait ici relâcher les efforts, mais que les politiques de santé commencent à démontrer leur efficacité : raison de plus pour les poursuivre et les intensifier.

Une seule formule semble expliquer ces premiers succès : dans les pays concernés, non seulement les pouvoirs publics, mais aussi une part de plus en plus importante des hommes et des femmes, acceptent aujourd’hui de penser l’avenir.

Qu’est-ce que cela signifie pour une personne en bonne santé ? Cela veut dire qu’un nombre grandissant d’individus décident, au milieu de leur vie, de changer de comportement pour accroître leurs chances de bien vieillir. Une équipe de l’Institut de santé publique de l’Université de Cambridge (Royaume-Uni) a mené une revue systématique de seize mille articles sur ce sujet : la période du « milieu de la vie » s’étend de quarante à soixante-quatre ans. Le changement concerne avant tout l’activité physique, le régime alimentaire, la consommation de tabac et d’alcool, le soin des yeux. Il suppose ce que les auteurs appellent un « intérêt pour le plaisir » (focus on enjoyment). Les minorités ethniques, les femmes, les personnes ayant un faible niveau de culture, de statut social ou économique sont les moins bien placées dans cette course à la santé par la prévention (PLOS One, revue scientifique de la Public Library of Science américaine, janvier 2016).

Deux chercheurs de la Clinique universitaire de Leipzig (Allemagne) proposent une projection du nombre de cas de maladie d’Alzheimer évitables si une prévention non spécifique de sept facteurs de risque modifiables était mise en œuvre : l’impact le plus important serait obtenu en agissant sur l’inactivité physique (21,7% du risque total) et la consommation de tabac, qui représente 14,9% du risque total (Nervenarzt, 18 janvier 2016).

Mais penser l’avenir, c’est aussi avoir le courage de penser sa propre mort, c’est refuser de laisser les autres (famille, médecins, soignants …) assigner à chacun de nous une fin de vie conforme à leur philosophie, à leurs habitudes ou à la tradition de l’institution. En vertu de la nouvelle loi, issue d’une proposition co-signée par la droite et la gauche, le respect des directives anticipées s’imposera désormais à l’équipe médicale comme expression privilégiée de la volonté d’un patient qui se trouve hors d’état de l’exprimer (Actualités sociales hebdomadaires, 28 janvier 2016). Le vote du Parlement n’a, bien évidemment, pas mis fin au débat éthique : si le droit à l’euthanasie, revendiqué par certains, est clairement écarté, beaucoup s’interrogent encore sur la confusion, qui s’installerait, selon eux, entre douleur et souffrance, ou sur les ambigüités du « lâcher prise » (Revue de gériatrie, janvier 2016 ; La Croix, 27 janvier 2016).

Penser l’avenir, c’est – pour la communauté des chercheurs et pour les politiques – tenter d’imaginer comment les bouleversements du monde, les révolutions des technologies vont transformer le rôle et l’image du médecin et du soignant, de l’hôpital et de toute la planète médico-sociale, mais aussi de la personne malade, de son entourage, de ses aidants.

La revue Frontiers in Aging Neurosciences a publié, le 20 janvier 2016, un numéro spécial consacré aux technologies de l’information et de la communication pour l’évaluation, la réhabilitation, la réalité virtuelle et la formation dans la maladie d’Alzheimer et les maladies apparentées. Un des aspects majeurs (« réellement fascinants », selon les auteurs) sera l’interdisciplinarité : « étroite collaboration entre professionnels de formations différentes : chercheurs, cliniciens, ingénieurs et entrepreneurs », dans « le but ultime d’améliorer la qualité de vie, d’accroître l’autonomie et de promouvoir une vie en bonne santé ».

Une équipe de neurologues du centre médical des anciens combattants de Portland (Etats-Unis) a ainsi installé de multiples capteurs dans cinq cents domiciles, pour recueillir des données pendant huit ans sur le comportement de la personne dans son environnement domestique : les variations de la stabilité de la marche et de la mobilité, du sommeil et de l’activité, de la régularité de la prise de médicaments permettent de prédire une baisse de moral, la dépression ou la survenue de troubles cognitifs. La richesse de ces données mesurées en continu est impossible à obtenir lors d’une consultation au cabinet du médecin (ibid.)

La réalité virtuelle (technique de communication homme-machine consistant à immerger une personne dans un univers sensoriel de synthèse recalculé en temps réel) commence à être utilisée en environnement clinique pour l’évaluation et la réhabilitation. Plusieurs essais cliniques étudient le potentiel d’Internet et des outils en ligne pour créer des programmes de formation et de soutien à destination des aidants (ibid.)

La notion même de médicament est en train de profondément évoluer. « Le programme européen Innovative Medicines Initiative, écrit le professeur Philippe Amouyel, directeur général de la Fondation Plan Alzheimer, a lancé des consortiums gigantesques, avec des dizaines de laboratoires publics et privés, pour encourager des interactions entre ceux qui génèrent des hypothèses et ceux qui peuvent créer des médicaments à partir des hypothèses. On parle aujourd’hui d’une recherche pré-compétitive ». « Les laboratoires axent leurs recherches sur des médicaments destinés non plus aux personnes âgées, annonce le Professeur Bruno Dubois, directeur du centre des maladies cognitives et comportementales à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière de Paris, mais à des personnes plutôt jeunes et en bonne santé, qui pourront être traitées préventivement durant plusieurs années » (Le Monde diplomatique, février 2016).

La personne malade du XXIème siècle va-t-elle changer de visage ? On parle désormais des « patients 2.0. », qui « consultent des forums, les réseaux sociaux ou des sites web pour comprendre par eux-mêmes les pathologies dont ils souffrent ». Chacun va aspirer à devenir « spécialiste de sa propre santé ». « Le médecin ne peut plus être cloisonné dans son cabinet médical avec son savoir, il doit être connecté avec le monde extérieur et échanger avec son patient pour faire reconnaître son avis éclairé et garder sa confiance » (Mutations : regards mutualistes sur un monde en transformation, nouveau magazine de la Mutualité française, n°1, janvier 2016).

Le projet européen in-MINDD, mené par des équipes de recherche en France, en Irlande, aux Pays Bas et en Ecosse, développe des outils et un soutien en ligne pour évaluer son propre score de risque et discuter avec son médecin traitant, afin de prendre sa santé en main en agissant soi-même sur les facteurs de risque modifiables (tension artérielle, humeur, exercice physique, diabète, maladie cardiaque, consommation de tabac et d’alcool, régime alimentaire, capacité cognitive, insuffisance rénale chronique). Mais il reste un problème éthique et politique partiellement non résolu (ou avec des amorces de solution différentes d’un pays à l’autre) : quelle protection et quelle régulation pour la transmission de ces données ? (ibid.)

Face à l’imminence de ces mutations profondes, comment va réagir le système hospitalier ? « Désormais, écrit le Professeur Bruno Vellas, coordonnateur du Gérontopôle de Toulouse, les structures innovantes à mettre en place doivent se centrer sur la prévention (…). La prévention de la maladie d’Alzheimer sera le futur des EHPAD ». « Il faut agir sur ce qui n’est pas advenu, résume le Professeur Mathieu Ceccaldi, chef du service de neurologie à l’hôpital La Timone de Marseille. On évolue vers un changement de culture sanitaire » (Géroscopie pour les décideurs en gérontologie, janvier 2016 ; L’Année gérontologique, 16 décembre 2015).

Et les politiques ? Prennent-ils conscience des révolutions plus ou moins visibles qui s’opèrent aujourd’hui dans notre société ?  Certains observateurs en arrivent à définir comme un pur « fantasme » les perspectives de la Silver Economie, tant vantée dans les dernières années (www.lemonde.fr, 20 janvier 2016).  Faut-il un « 5ème risque » ? s’interrogeait récemment Laurence Rossignol, qui était alors secrétaire d’État à la Famille, l’enfance, les personnes âgées et l’autonomie. Et de proposer que l’élection présidentielle de 2017 soit l’occasion d’un grand débat sur l’autonomie et son financement (www.agevillagepro.com, 25 janvier 2016 ; www.lemonde.fr, 20 janvier 2016).

Jacques Frémontier

Journaliste bénévole