La mémoire du beau

Recherche

Date de rédaction :
08 juin 2020

La mémoire de la beauté survit à la maladie d’Alzheimer. « Les proportions harmonieuses d’un tableau ou d’une sculpture induisent un sentiment de bien-être », explique le neurologue Pierre Lemarquis dans son ouvrage Portrait du cerveau en artiste (Odile Jacob, 2014). « Les couleurs agissent sur nos émotions, notre créativité, notre concentration, voire notre force physique. La musique a le pouvoir de soulager la douleur et de stimuler la mémoire. Les philosophes ont les premiers pressenti l’impact du beau et des créations artistiques sur notre humeur, notre état d’esprit et notre santé. Leurs thèses sont désormais confirmées par les neurosciences, qui révèlent comment notre cerveau et, par là, notre corps entrent en résonance avec la beauté. » Le neurologue a donné à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière de Paris une conférence intitulée : Aimer Jeff Koons protège-t-il de la maladie d’Alzheimer ? Les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ont-elles des goûts esthétiques différents de personnes sans troubles cognitifs ? Les personnes malades préfèrent davantage la sculpture Balloon Flower, de Jeff Koons, et les toiles colorées abstraites de Mark Rothko. Pour le neurologue, spécialiste de l’étude des comportements animaux et humains, la sculpture de Koons évoque « de gigantesques seins maternels, première œuvre d’art à laquelle nous sommes confrontés selon Darwin, à la fois érotique, gastronomique et esthétique. La couleur jaune dorée de la sculpture de Koons est celle que recherchait Van Gogh lorsqu’il voulait nous offrir le soleil, on la retrouve dans les études d’expression colorée de l’humeur chez les aphasiques : elle représente la quiétude alors que le gris et le noir signalent l’anxiété et la dépression. La simplicité de l’œuvre permet également à l’attention de ne pas se disperser, et l’on y retrouve même la fameuse ligne serpentine, essence ultime de la beauté chère à Michel-Ange et à la Renaissance. Enfin, elle est parfaitement réfléchissante, l’attirance pour une œuvre étant souvent liée à l’impression consciente ou non de familiarité qu’elle nous procure, en résonance avec notre biographie. Les neurones miroirs, couplés aux circuits du plaisir et de la récompense, peuvent fournir un support neuronal à l’empathie esthétique, au ressenti de l’intérieur cher aux philosophes, qui orientera les patients vers la quiétude promise par l’œuvre de Koons. Elle revêt alors une dimension thérapeutique. C’est peut-être pour cette raison que les patients entrent également en résonance avec les champs colorés des toiles de Mark Rothko, lui qui a tant appris des enfants.

www.agevillage.com/actualite-16371-1-Aimer-Jeff-Koons-protege-t-il-de-la-maladie-d-Alzheimer-.html, 10 avril 2018. www.youtube.com/watch?v=ThOF03Hu6jE (vidéo de la conférence). Lemarquis P. Portrait du cerveau en artiste. Paris : Odile Jacob. 8 octobre 2014. 304 p. ISBN 978-2738131973. www.odilejacob.fr/catalogue/psychologie/psychologie-generale/portrait-du-cerveau-en-artiste_9782738128287.php. Silveri MC et al. “The Memory of Beauty” Survives Alzheimer’s Disease (but Cannot Help Memory). J Alzheimers Dis 2015; 45(2): 483-494. www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25550227.