Entrée en établissement d’hébergement : la culpabilité des aidants
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
Les aidants / les familles
Pierre se souvient du moment où il a amené sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer, en établissement spécialisé. « Elle était assise à l’arrière de la voiture. Nos regards se sont croisés dans le rétroviseur. Elle me disait qu’elle savait. Je conduisais. Je n’ai rien dit. Nous en avions discuté avec ma sœur. Ma mère était partie plusieurs fois de chez elle, elle ne pouvait plus vivre seule. Mais son regard m’a profondément déstabilisé », explique-il des années après, la sensation de culpabilité toujours présente.
« Il y a treize ans, mon épouse, institutrice à la retraite, a commencé à connaître des sautes d’humeur, restait prostrée et ne faisait plus ces jeux auxquels elle tenait tant. Mais elle refusait catégoriquement de faire les tests, elle était dans le déni total », explique Joseph Malochet, bénévole à France Alzheimer Loire depuis 2015. Et puis la maladie a évolué, inexorablement. Finalement, il y a trois ans, après un mois d’hôpital, on lui impose l’entrée de son épouse en EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). « J’étais à bout de force, totalement épuisé physiquement et psychologiquement, je ne vivais que pour mon épouse, à chaque minute qui passait. » Son épouse entrée en établissement, Joseph Malochet a dû faire face à d’autres difficultés : la culpabilité d’abord, omniprésente, d’avoir « abandonné » son épouse, « Et puis les critiques et jugements des proches qui ne comprenaient pas cette décision. » A France Alzheimer Loire, il croise le chemin d’autres aidants qui témoignent de leur parcours et de leur vécu, et suit une formation de cinq demi-journées dispensée par une psychologue. « J’ai dès lors appris à vivre, à me séparer de ce sentiment de culpabilité qui m’obsédait, et surtout à être en meilleure position pour l’accompagner, plus détendu. » : « les médecins m’assurent de la compétence affective de mon épouse, je sais qu’elle sait que je suis auprès d’elle. »
Ce sentiment ambigu de culpabilité est partagé par de nombreux Français. Selon une étude publiée par le laboratoire d’idées Terra Nova, « pour 8 personnes sur 10, l’entrée en structure d’accueil est associée à une perte d’autonomie de choix ». Pour 7 sur 10, elle contraint « à voir ses proches dans de moins bonnes conditions » et pour « 6 sur 10 à se mettre en retrait de la société ». L’entourage est le principal bénéficiaire de cette décision : « 8 sur 10 estiment que ce choix est de nature à les soulager ». Parmi les 36 % de sondés les plus concernés, les raisons qui motivent l’entrée en structure d’accueil sont principalement « l’état de santé et l’âge » (8 sur 10), le fait qu’il n’y ait « plus de solution de maintien à domicile » (5 à 6 sur 10) et « que les proches ne pouvaient plus aider » (3 sur 10). L’EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) est souvent l’ultime étape, quand les autres options ne sont plus possibles. La décision est rarement prise par la personne elle-même (dans 2 cas sur 10). Elle se prend souvent soit après concertation, soit sous la contrainte.
www.leprogres.fr/loire-42-edition-saint-etienne-metropole/2018/09/27/maladie-d-alzheimer-temoignage-d-un-aidant, 27 septembre 2018.
www.lalsace.fr/actualite/2018/10/01/maison-de-retraite-douloureux-choix, 1er octobre 2018. Terra Nova, Credoc, en partenariat avec AG2R La Mondiale et la Caisse des Dépôts. L’heure du choix : l’entrée des personnes âgées en structure d’accueil. 1er octobre 2018. http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/628/original/Note_Terra-Nova_Cr_doc_AGR2LAMONDIALE_Groupe-CDC_Personnes-ag_es_011018.pdf?1538139472 (texte intégral).