Éditorial — Un avenir sans démence : entre science et fiction
Édito
Tableau en ombre et lumière. Si la volonté de soutenir la recherche médicamenteuse sur la maladie d’Alzheimer n’a jamais été aussi forte, l’échéance à laquelle cette entreprise aboutira demeure incertaine. L’industrie pharmaceutique soutient actuellement 151 essais cliniques dans le domaine et Bill Gates a fixé à quinze ans la durée de vie de son fonds de capital-risque Dementia Discovery Fund. Au même moment, Pfizer abandonne la recherche de médicaments sur la maladie d’Alzheimer (www.reuters.com, 7 janvier 2018). Lilly conserve au contraire son pipeline de projets, pour maintenir l’expertise interne. Le danois Lundbeck révèle les résultats négatifs de trois essais cliniques de phase 3 d’un inhibiteur de la neurotransmission (www.theguardian.com, 9 janvier 2018), Biogen continue de cibler la plaque amyloïde dans un essai de phase 1. Bonnes et mauvaises nouvelles s’enchaînent dans une temporalité qui échappe à toute logique.
À mesure que les neurosciences et la connaissance de la maladie d’Alzheimer progressent, l’imaginaire collectif, alimenté, entre autres, par les chimères de la science-fiction et nos espoirs déçus, entrevoit la mise au point rapide d’un traitement curatif. Lucy Burke, de l’Université Metropolitan de Manchester (Royaume-Uni), a analysé les représentations de l’avancée en âge et de la démence à travers deux films et un roman qui mettent en scène la découverte « prochaine » d’un traitement curatif et la possibilité d’une régénération neuronale (Palgrave Communications, 2017). Ainsi, dans Deep Blue Sea, sorti en 1999, c’est l’identification d’une molécule dans le cerveau des requins qui rend possible la production en masse d’une protéine destinée à l’industrie pharmaceutique. On aurait aimé y croire.
À cette même époque, la science identifiait les gènes responsables des formes précoces et familiales de la maladie. Vingt ans après, aucun traitement n’est encore disponible et la promesse du développement d’un possible vaccin annoncé au début des années 2000 est toujours lettre morte. Même impatience légitime.
Les découvertes récentes ont permis d’amorcer un changement de paradigme dans la compréhension de la maladie d’Alzheimer. Pour Angel Cedazo-Minguez, professeur de neurogériatrie moléculaire à l’Institut Karolinska de Stockholm et nouveau directeur de la recherche pré-clinique chez Sanofi, « la maladie d’Alzheimer est un concept trop hétérogène pour identifier des cibles moléculaires. Il faut parler d’un syndrome (ensemble de signes) plutôt que d’une maladie. La recherche sur le syndrome Alzheimer est maintenant ciblée sur les mécanismes des facteurs de risques » (Alzheimer’s & Dementia, 19 novembre 2017). Bart de Strooper, directeur du nouvel Institut de recherche UK Dementia, confirme qu’ « il ne sert à rien de se concentrer sur les modifications biochimiques lorsque la démence survient. Il est déjà trop tard ». L’identification des « mécanismes moléculaires et cellulaires sous-jacents, de plus en plus complexes » (www.lecho.be, 14 décembre 2017) ainsi que le repérage des stades précoces, semblent être les deux nouvelles pistes suivies par la recherche biomédicale.
Le défi est donc de taille et beaucoup de laboratoires que l’on n’espère pas seulement « motivés par la promesse d’un marché potentiel de quelque 24 millions de personnes », (www.lesechos.fr, 10 janvier 2018) continuent fort heureusement d’investir dans la recherche sur la maladie d’Alzheimer. Rappelons que Vernor Vinge, auteur de romans de science-fiction, imaginait dans Rainbows End (2007), l’arrivée d’un traitement miraculeux pour le milieu du 21e siècle…
Mettre en résonance l’histoire récente et l’actualité de la recherche sur la maladie d’Alzheimer avec les spéculations de la science-fiction, c’est prendre la mesure du hiatus qui existe entre les attentes que cette maladie suscite et les espoirs que nous fondons dans la recherche. Ce décalage révélateur nous renvoie à la seule question qui vaille : « que pouvons-nous raisonnablement espérer à moyen terme ? » (www.lecho.be, 14 décembre 2017). La question reste ouverte : il n’y a pas de piste facile.
Ségolène Charney
Éditorialiste