Éditorial — Vers une société elle-même aidante
Édito
En France, plus de 6 millions de personnes aident de manière régulière et non-professionnelle un proche âgé dépendant. Parmi elles, environ 2 millions s’occupent d’une personne atteinte de troubles cognitifs. Dans les années à venir, le nombre de personnes atteintes de troubles cognitifs va progresser en raison notamment du vieillissement de la population, entraînant avec lui un besoin accru d’aide informelle au quotidien.
Même si aider peut être vécu comme « naturel », avoir un impact positif et être source de satisfactions pour certains aidants, prendre soin au quotidien d’un proche ayant des troubles cognitifs est éprouvant, physiquement et moralement. C’est pourquoi il convient d’« aider les aidants », de les soutenir sans se substituer à eux.
Plusieurs programmes d’appui aux aidants ont fait la preuve de leur efficacité, aux États-Unis et en Europe. Combinant soutien psychologique, formation pour gérer les modifications du comportement et entraide entre pairs, ils concourent à réduire l’anxiété, la dépression, la colère, la fatigue et créent un cercle vertueux entre montée en compétence et estime de soi. L’offre dite de « répit » s’est considérablement enrichie et diversifiée, notamment à travers la création et l’expérimentation de nouveaux dispositifs d’accompagnement et de répit.
Cependant, le fait que les aidants familiaux recourent peu ou tardivement aux dispositifs de répit interroge. Si des contraintes matérielles (accessibilité géographique, conciliation avec une vie professionnelle ou familiale, coûts du transport) entrent en ligne de compte, la conviction chez l’aidant qu’aider est un devoir moral n’est pas étrangère à ce phénomène. Enfin, certains aidants peuvent se sentir démunis ou manquer de temps : comment « gérer la paperasse » et « coordonner le ballet des intervenants », assurer les déplacements ou surmonter les dilemmes éthiques ? Les aidants souhaitent également mieux comprendre comment leur proche perçoit les choses, maintenir une relation de proximité avec lui en dépit des difficultés de communication et continuer à partager de bons moments ensemble, au-delà de la relation d’aide.
On estime que la moitié des aidants ont un emploi et les études menées sur le sujet montrent leur attachement au travail. En effet, le travail constitue une dimension de l’identité et une source de revenus. Certains salariés-aidants vivent l’activité professionnelle comme un espace de déconnexion, voire de répit. L’enjeu est de développer des solutions qui permettent aux aidants familiaux de concilier aide et vie professionnelle. Ce sujet devrait faire partie des discussions annoncées par la ministre des Solidarités et de la Santé et nourrir le projet de loi sur la prise en charge de la dépendance attendu pour 2019.
Dans le livre-plaidoyer Alzheimer Ensemble que la Fondation vient de publier, le défi 6 s’intitule : « soutenir les aidants et les renforcer dans leurs compétences ». Elle y formule deux recommandations d’actions concrètes. L’une incite à tenir compte, dans les propositions d’aide et de répit faites aux aidants familiaux du paradoxe du non-recours (recours faible ou tardif par méconnaissance ou réticence aux solutions proposées …). L’autre propose de développer les échanges entre aidants familiaux sur les dilemmes éthiques et des interrogations morales auxquels ils sont exposés, et de les faire accompagner, s’ils le souhaitent, lorsqu’ils ont à prendre des décisions difficiles.
La Fondation propose également deux priorités de recherche. La première vise à expérimenter en France des programmes de soutien aux aidants inspirés de ceux qui ont fait leurs preuves dans d’autres pays (NYU Caregiver Program, programme START…). La seconde invite à tester des solutions pour simplifier les démarches administratives des aidants familiaux et répondre à leurs difficultés (coordination des intervenants, gestion du budget, arrêt ou poursuite de la conduite automobile, nuit à domicile…).
En effet, au-delà de la prise en charge classique par des professionnels, qui consiste à « décharger » les aidants, et des formations pour les aidants, il s’agit aussi de créer les conditions pour que tous les acteurs de la cité soient en capacité de comprendre, de soutenir et d’aider les aidants au quotidien, que ce soit au domicile, dans le quartier ou encore sur le lieu de travail… Tel est l’enjeu d’une société inclusive et elle-même aidante.
La rédaction