Éditorial — Combattre la maladie d’Alzheimer en compensant les déficits sensoriels

Édito

Date de rédaction :
17 août 2020

Lorsque sa cognition se détériore, la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer devient de plus en plus tributaire de ses capacités sensorielles. Si ces dernières s’altèrent à leur tour, elles réduiront encore davantage sa perception des contextes, sa capacité à entrer en communication, son autonomie, sa sécurité… Parce qu’ils ont compris depuis longtemps le caractère délétère de cet engrenage, les professionnels qui mettent en œuvre des interventions psychosociales sollicitent largement les fonctions sensorielles des personnes vivant avec des troubles cognitifs. Repérer, compenser et réduire, même partiellement, les déficits sensoriels concourt donc à améliorer concrètement les conditions de vie des personnes vivant avec des troubles cognitifs et peut même contribuer à ralentir de manière significative l’apparition des symptômes et leur développement.

Dans sa théorie de la sensibilité, Aristote n’imaginait pas d’autres sens que la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher. Cette conception a perduré jusqu’en 1906, date d’introduction du concept de proprioception par le neurologue britannique Charles Sherrington. Un sixième sens était mis en lumière : celui qui permet au corps de percevoir sa position et le mouvement de ses différentes parties dans l’espace. C’est la proprioception qui nous confère la capacité d’ajuster en permanence notre équilibre en intégrant des signaux provenant de l’œil, de l’oreille, de la peau, des tendons et des muscles… Clin d’œil de l’histoire des sciences, c’est cette même année 1906 qu’Aloïs Alzheimer décrivait les symptômes de la maladie qui porte aujourd’hui son nom.

Plus d’un siècle après ces découvertes, des approches pluridisciplinaires font converger des travaux sur la sensorialité et sur la cognition. La recherche avance dans deux directions complémentaires. D’une part, des spécialistes du sensoriel et du mouvement élaborent des mesures sophistiquées pour quantifier l’association entre déclin sensoriel et déclin cognitif. D’autre part, des professionnels des disciplines sensori- cognitives développent des outils de repérage simples qui ne requièrent aucune mesure complexe (acuité visuelle, réfraction, audiométrie…) afin d’orienter la personne malade vers un circuit d’aides et de soins spécialisés.

Les efforts se concentrent aujourd’hui sur trois facteurs de risques modifiables : les troubles non compensés de la vision, de l’audition et de l’équilibre.

  • la vision : l’œil constitue à certains égards le miroir de la neurodégénérescence. Une faible épaisseur de la rétine doublerait le risque de survenue de troubles cognitifs. La dégradation des micro-vaisseaux de la rétine, facile à observer lors d’un examen de fond d’œil, pourrait servir de biomarqueur pour suivre la progression de la démence vasculaire. Par ailleurs, la vision des couleurs est altérée dans la maladie d’Alzheimer : les personnes repèrent mal le bleu et le vert. Enfin, la chirurgie de la cataracte permet non seulement de restaurer l’acuité visuelle et la vision des contrastes mais aussi de ralentir le déclin de la mémoire épisodique (mémoire consciente, explicite, qui permet de se rappeler des événements passés).
  • l’audition : une étude britannique montre que la perte auditive est associée à une perte cognitive chez les personnes n’utilisant pas de prothèse auditive. Cette relation n’est pas observée chez les personnes portant une prothèse (Ray J et al, JAMA Otolaryngol Head Neck Surg, octobre 2018). Ainsi, une détection en amont des troubles auditifs chez les personnes âgées et une réhabilitation précoce pourraient prévenir le déclin cognitif.
  • l’équilibre, enfin. Bougeons, bougeons, tel pourrait être le slogan, car ce qui est bon pour le cœur l’est aussi pour le cerveau. Ainsi, marcher plus d’une heure par jour réduirait le risque de maladie d’Alzheimer ou de maladies apparentées. Plusieurs mesures permettent d’identifier des personnes à haut risque de chute : la vitesse de marche, la longueur du pas, l’oscillation posturale… L’hippocampe, cette région du cerveau dont nous connaissons l’importance dans la cognition, joue un rôle clé dans la mémorisation de l’espace qui nous entoure, la proprioception et le contrôle de la marche.

Le repérage, puis la compensation des déficits sensoriels chez les personnes atteintes de troubles cognitifs sont donc essentiels pour maintenir leur autonomie, faciliter leur vie quotidienne, améliorer leur qualité de vie et diminuer les risques d’accident. C’est vrai pour les personnes vivant à domicile comme pour celles qui résident en établissement. La Haute autorité de santé a émis en janvier 2017 des recommandations pour un repérage systématique des déficiences sensorielles à l’entrée en EHPAD comme en EHPA (résidence-autonomie, foyer-logement, résidence services…).

Une étude de la Fondation Médéric Alzheimer avait montré en 20151 qu’un tiers seulement des EHPAD réalisaient de manière systématique le repérage des déficiences sensorielles et que seulement 6 % disposaient d’un protocole pour le faire. L’une des premières difficultés à la codification d’une procédure de repérage réside dans le choix d’une grille de repérage parmi la multitude existant pour chaque sens.

Afin d’aider les professionnels, la Fondation Médéric Alzheimer, Optic 2000 et Audio 2000 ont développé et testé une grille d’analyse multisensorielle : la grille AVEC (audition, vision, équilibre, cognition). Élaborée en 2014 par la Société française de réflexion sensori-cognitive (SOFRESC), elle a été synthétisée et réécrite pour tenir compte du contexte des résidentes en EHPAD et EHPA. Chacune des dimensions explorées par la grille est indépendante et peut être renseignée par des professionnels différents : médecins coordonnateurs, infirmiers, psychologues, psychomotriciens, masseurs- kinésithérapeutes… Elle s’intègre ainsi aisément dans les pratiques et peut être complétée en 20 mn. Après avoir été testée auprès de 422 résidents en 2017 et 2018, la grille est désormais téléchargeable sur le site de la Fondation Médéric Alzheimer ou sur le site de l’Observatoire de la santé visuelle et auditive du Groupement Optic 2000. Pour la Fondation Médéric Alzheimer, l’objectif à dix ans est clair : repérer le plus tôt possible et de manière systématique les troubles sensoriels des personnes ayant des troubles cognitifs et y apporter des réponses en termes d’appareillage ou de rééducation. La rédaction

1 Fondation Médéric Alzheimer. Le sensoriel et la maladie d’Alzheimer en EHPAD. La Lettre de l’Observatoire des dispositifs de prise en charge et d’accompagnement de la maladie d’Alzheimer. 2016 ; 42. Juin 2016. www.fondation-mederic-alzheimer.org/la-lettre-de-lobservatoire (texte intégral).