L’humour, pour supporter l’insupportable

Acteurs de l'écosystème Alzheimer

Date de rédaction :
29 mai 2020

L’humour peut aider à supporter l’insupportable, écrit Véronique Lefebvre des Noëttes, psychiatre, gériatre à l’hôpital Émile-Roux à Limeil-Brévannes (Val-de-Marne) et membre du conseil scientifique de l’Espace national d’éthique sur les maladies neurodégénératives. Seule psychiatre dans ce grand hôpital de gériatrie accueillant près de 1 000 patients, dont 80 % sont atteints de troubles cognitifs évolués, elle est à l’écoute de toutes les petites perceptions qui révèlent, chez ces personnes, un esprit encore bien vivant. Elle cherche à faire resurgir la parole prisonnière de l’aphasie et du manque du mot, pour initier le dialogue. « Ma mémoire, elle s’effiloche comme moi », dit Huguette, 88 ans (score cognitif MMSE (mini-mental state examination) de 17/30 [stade modéré]. « Il y a de la poussière dans mon là-haut », dit Colette, ancienne opératrice des PTT. « Regarde, j’ai deux pieds : le premier, il s’appelle 1, tu tapes le 1 et tu avances, et ensuite le deuxième, il s’appelle 2, tu tapes 1 et 2 et tu avances, c’est ça la vie. » Pour la psychiatre, les mots et les jeux de mots des personnes atteintes de troubles neurocognitifs sont des dentelles fragiles d’un tissage relationnel toujours en construction, bien que s’appuyant sur un « déjà dit ». Ils sont une trace toujours vivante d’une volonté d’être au monde et de communiquer, et une prouesse de l’esprit qui, malgré un langage oral et écrit amputé, est capable d’un néolangage, d’un sens de la répartie et d’une construction poétique drôle et vivante. Nous sommes toujours les « Alzheimer » des autres : « ici je rigole, il n’y a que des vieux, ou ils dorment, ou ils crient ; il y en a des pas bien cuits, ou des démoulés trop chauds (expression antillaise), des déphasés, des qui n’ont pas toute leur tête. Heureusement que moi je la garde, ma tête », dit Émeline, 89 ans (MMSE 10/30 : stade modéré-sévère,). Roger, 90 ans (MMSE 13/30 : stade modéré), dit « je ne suis pas intégré à la résidence, je suis désintégré ». Yvette, 96 ans, l’œil vif, en fauteuil roulant et qui vit depuis 4 ans en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, explique : « je prends l’air bête parce qu’on ne se méfie pas des bêtes et comme ça on m’oublie, alors, je suis tranquille, j’irai jamais en maison de retraite. »

Lefebvre des Noëttes. Alzheimer, que reste-t-il à faire quand il semble qu’il n’y a plus rien à faire ? L’éthique à l’écoute des petites perceptions. Neurol Psychiatr Gériatr 2019 ; 19 : 250-255. Octobre 2019.

www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1627483019301011.