Prise en compte des spécificités des personnes ayant des troubles neurocognitifs en temps de pandémie : que faut-il essayer d’éviter ?
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
Pour Fabrice Gzil, il s’agit d’abord d’éviter les pratiques systématiques ou arbitraires. Dans un avis du 30 mars 2020, le comité consultatif national d’éthique a rappelé qu’à l’opposé de décisions prises de manière générale et non contextualisée, les choix devraient être le fruit d’une discussion préalable, interdisciplinaire et collégiale, associant des personnes extérieures à l’institution, comme les professionnels des équipes mobiles de gériatrie, ainsi que les proches ». Il faut éviter aussi l’assimilation systématique des comportements perturbants à des symptômes de la maladie. Dès lors qu’une personne a des troubles cognitifs, on a tendance à appeler « troubles du comportement » et à attribuer à sa seule maladie des conduites, comme la déambulation, qui peuvent être des réactions tout à fait normales à des attitudes ou à des environnements inadaptés. Ainsi, la personne crie, déambule ou est agitée parce que ses besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits, parce qu’elle ressent une gêne, une souffrance ou une douleur qui n’est pas prise en compte. Bien souvent, cette gêne, et les comportements perturbants qu’elle occasionne, peuvent être apaisés en passant du temps avec la personne, pour comprendre ce qui l’incommode. Il s’agit ensuite d’éviter à la fois que les soignants ou les familles décident de tout à la place de la personne, sans l’écouter ni la consulter. Associer les proches aux décisions, quand la personne y consent ou lorsqu’elle est privée de discernement, ne signifie pas qu’il faille nécessairement suivre tous leurs avis ni se plier à toutes leurs volontés, ou que les soignants tiennent les familles à distance, sous prétexte que c’est au résident de choisir. Le protocole national stipule que la demande de visite devrait en principe émaner des résidents. Cela ne signifie pas que lorsqu’un résident vivant avec la maladie d’Alzheimer n’en fait pas spontanément la demande, il faille refuser les visites aux familles.
Enfin, pour Fabrice Gzil, il ne faudrait pas croire que les personnes vivant avec des troubles cognitifs ne se rendent compte de rien et ne ressentent pas l’absence, le manque de leurs proches, et qu’il n’est pas utile de les informer, car elles ne pourraient pas comprendre ni retenir les informations données. Sous prétexte que les personnes ont des troubles, on postule souvent qu’elles n’ont rien à dire sur ce qu’elles vivent, ou qu’elles ne sont plus capables d’avoir une véritable pensée. L’expérience montre que quand on crée des conditions propices, les personnes conservent une capacité de penser et d’articuler des idées. Cette « présomption d’incompétence » est constamment démentie par les faits. Ce n’est pas parce qu’une personne a plus de difficultés que par le passé pour stocker en mémoire de nouvelles informations, pour reconnaître les personnes qui ne font pas partie de ses proches, ou pour s’orienter dans le temps ou dans l’espace, qu’elle cesse de faire preuve d’intelligence, d’essayer de donner de sens à ce qu’elle observe, ou d’attribuer de la valeur à des choses, et d’avoir des choses qui lui importent.
Gzil F. Pendant la pandémie et après. Quelle éthique dans les établissements accueillant des citoyens âgés ? Un document-repère pour soutenir l’engagement et la réflexion des professionnels. Espace éthique Région Ile-de-France, 1er février 2020. www.espace-ethique.org/sites/default/files/document_repere_ethique_ehpad.pdf (texte intégral).