Ouvrir sans cesse de nouvelles pistes

Édito

Date de rédaction :
01 mars 2008

Risquons-nous, pour une fois, à une lecture statistique de la presse nationale et internationale : sur vingt-sept références concernant la recherche, une seulement (oui, vraiment une seule !) ouvre une perspective de thérapeutique médicamenteuse : cent quarante-six essais cliniques sont en cours aux Etats Unis ; un laboratoire américain teste, en phase III, un vaccin actif auprès de deux mille personnes (The Atlanta Journal-Constitution, 18 février).
D’ailleurs, le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux, de l’Institut Pasteur constate : « Ce serait dangereux de tout axer sur la médecine et les sciences médicales » et « une erreur gravissime d’exclure les sciences humaines et sociales » des projets qui seront affichés (Les Echos, 15 mars).
C’est dire à quel point les interventions non médicamenteuses restent, pour le moment, notre point d’ancrage le plus encourageant, – l’option de traitement primaire pour les personnes atteintes de troubles cognitifs, estime le professeur Olivier Saint-Jean, du service de gériatrie de l’hôpital européen Georges Pompidou, même si leurs résultats n’ont pas encore été évalués en profondeur (Presse Médicale, 15 février).
Un précepte majeur s’impose à tous les acteurs impliqués dans l’accompagnement des personnes atteintes : tenter de leur assurer la meilleure qualité de vie possible.
En fonction de leurs propres projets, mais aussi des conditions environnementales, propose le sociologue Jean-Yves Barreyre : il s’agit de comprendre comment les acteurs « font avec » leurs propre conditions de vie et dans quelle mesure ils sont à même d’« intervenir », de « faire bouger les lignes », ce qui suppose une nouvelle conception du travail social (Alter. European Journal of Disability Research, janvier-mars). D’observer, écouter et respecter les personnes malades, en les considérant, sans naïveté, comme actrices au sein des dispositifs, rappelle Marie-Jo Guisset-Martinez, responsable du pôle Initiatives locales à la Fondation Médéric Alzheimer (5èmes Assises nationales du médecin coordonnateur en EHPAD, 27 et 28 novembre 2007, hors série édité par EHPA Presse). L’examen clinique de la personne agitée ou apathique doit toujours commencer par un entretien avec elle : elle n’est ni sourde ni muette. Le trouble a toujours un but et une fonction pour elle, il est l’expression d’un mal-être, d’une angoisse qu’il faut décoder (Le Journal du Médecin coordonnateur, janvier-février 2008). Il faut savoir écouter l’histoire de vie de la personne malade, remonter le passé pour essayer de décrypter ce qu’elle dit à travers des comportements apparemment illogiques ou déviants ; « ça ne sert à rien de braquer la personne : c’est à nous de l’accompagner, d’aller vers elle », explique une équipe d’accueil de jour (La Voix du Nord, 16 février).
Le même changement d’optique apparaît désormais dans la réflexion des architectes. La conception architecturale des EHPAD est remise en question : il faut choisir entre un cadre de vie qui préserve l’intimité, développe la vie sociale et la cohabitation ou au contraire un carcan qui transforme les espaces privés en annexes de l’institution, les espaces collectifs en cours surveillées, les lieux de travail en territoires retranchés (Newsletter de l’Institut Silverlife, février 2008). Quelques uns songent même, pour limiter les effets de la dépendance, à ré-inventer l’utopie de l’habitat autogéré (www.lemonde.fr, 8 mars).
Toutes les thérapies sont bonnes, qui aident à reconstituer un lambeau de vie intime, de domaine sensible privé. Le service de psychologie de l’université d’Helsinki (Finlande) démontre l’efficacité de la musicothérapie pour améliorer la mémoire verbale et limiter les syndromes confusionnels et dépressifs (blog.capretraite, 11 mars ; Brain, mars 2008 ; Lancet, 1er mars). Mêmes constatations pour l’école de santé, soin et protection sociale de l’Université Malardalen de Vasteras (Suède) : la musique et le chant ont un impact important auprès des personnes au stade sévère de la maladie (International Journal of Nursing Studies, 30 janvier 2008). Des psychiatres et neuropsychiatres de Salem (Virginie, Etats Unis) ont observé que la fréquentation d’un nouveau jardin réduit l’agitation des personnes malades et peut limiter le recours aux prescriptions médicamenteuses (American Journal of Alzheimer’s Disease and Other Dementia, février-mars 2008). Une maison de retraite de Loire Atlantique expérimente avec succès un atelier mensuel de thérapie canine (Presse Océan, www.saintnazaire.maville.com, 18 février). Une autre, dans l’Hérault, fait jouer ses résidents sur une console de jeux vidéo, ce qui stimule leur mémoire et leurs capacités de logique et de coordination (lagedor.fr, www.senioractu.com, 19 février ; www.seniorscopie.com, 18 février). Une société de Nîmes va jusqu’à proposer un ordinateur spécialement adapté aux résidents des maisons de retraite, ce qui leur permet en particulier d’échanger des photos ou de communiquer en vidéo avec leur famille (www.senioractu.com, 5 mars).
Le confort de vie, c’est souvent aussi une audition correcte : mieux on entend, moins on a de risques de souffrir de troubles cognitifs. Le groupe de recherches Alzheimer Presbyacousie rappelle que le port d’aides auditives ne peut être pleinement efficace que s’il est préventif et mis en place très tôt (Décideurs en gérontologie, janvier-février 2008).
Afin de concevoir des produits et services concourant au maintien à domicile des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée, trois partenaires, le réseau régional de la mémoire du Nord-Pas-de-Calais Méotis, France Alzheimer et la Cité du Design de Saint-Etienne se sont associés pour lancer un appel à projets ayant pour objectif de « sensibiliser les nouvelles générations de créateurs, le monde industriel et institutionnel, à la nécessité d’adapter l’environnement aux exigences éthiques de dignité et d’égal accès aux soins ». Ce projet bénéficie du soutien de la Fondation Médéric Alzheimer et de la Fondation Caisses d’épargne pour la solidarité (www.citedudesign.com, 30 janvier).
De son côté, l’Union européenne va investir, sur la période 2008-2013, cent cinquante millions d’euros dans des programmes de recherche sur les technologies de l’information et de la communication facilitant la vie des personnes âgées. Deux conditions : que la vie privée et la dignité des personnes soient respectées ; que les pays participants participent au financement de la moitié du projet (lagedor.fr, 19 février ; www.europarl.europa.eu).
La « gérontechnologie » a donc de l’avenir : lampe qui s’allume d’elle-même dès que le jour décline, visiophone pour rentrer en contact avec la personne âgée dès réception d’une alerte par l’équipe de téléassistance, déambulateur « intelligent » aidant à se lever, « capteurs de soif », etc. (www.lemonde.fr, 8 mars). Mais ne risque-t-on pas d’aller trop loin ? La Commission nationale Informatique et libertés s’interroge sur l’expérimentation du bracelet électronique dans certaines maisons de retraite (Directions, mars 2008).
D’autres se demandent également si, quelle que soit la nécessité d’autonomie maximale, la capacité à conduire une automobile ne devrait pas être mieux contrôlée. Le service de neurosciences cliniques de l’Université de Brown (Etats Unis) a développé un test de deux minutes au cours duquel des personnes âgées, avec ou sans déficit cognitif, doivent se repérer dans un labyrinthe sur un ordinateur (Journal of Geriatry, Psychiatry and Neurology, 2008). En France, la ministre de l’Intérieur précise cependant que le gouvernement n’envisage pas « à court terme » une visite médicale obligatoire pour les personnes âgées. Elle invite toutefois les médecins à « sensibiliser davantage leurs patients sur les maladies ou les médicaments particulièrement contre-indiqués avec la conduite automobile » (Assemblée nationale, Journal Officiel, 19 février).

Les Français ont une peur croissante de la maladie d’Alzheimer, la plus crainte (54%) après le cancer (72%) (AFP, Pèlerin, Le Monde. La Croix, www.sante.net, 4 mars). Un sondage réalisé en février 2008 indique qu’ils sont 98% à en avoir entendu parler et qu’ils connaissent de mieux en mieux les différentes maladies du cerveau (blog.capretraite.fr, 10 mars). Radio A, qui émet depuis le 3 mars, est la première radio entièrement consacrée à la maladie d’Alzheimer (www.agevillage.com, 3 mars ; lagedor.fr, 11 mars ; www.radioa.info.fr, www.radiofrance.fr, 21 février).
Les aidants familiaux sont peut-être les témoins les mieux placés pour nous en parler. Leur souffrance est de plus en plus étudiée par les chercheurs. Une équipe de la division du vieillissement de l’hôpital Brigham and Women’s de Boston (Etats Unis) montre, par exemple, que l’association de symptômes dépressifs sévères et de situations génératrices d’un stress élevé, comme l’accompagnement d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer, augmente considérablement les troubles du sommeil (La Lettre de Successful Aging, 18 février ; Journal of the American Geriatric Society, décembre 2007). Le Pape Benoît XVI a estimé, le 25 février, que les proches accompagnant des malades en fin de vie devraient pouvoir bénéficier de congés au même titre que les parents à la naissance d’un enfant (www.agevillage.com, 3 mars).
Pour alléger leur fardeau, deux pistes complémentaires sont régulièrement évoquées. La première est celle de la solidarité intergénérationnelle : quelques initiatives, encore peu nombreuses, apparaissent (Newsletter de l’Institut Silverlife, février 2008). Une équipe du Centre de sciences sociales et comportementales de l’University College de Londres a tenté d’évaluer, sans résultats concluants, l’efficacité d’une intervention d’un « ami facilitateur » (Health Technological Assessment, mars 2008). Un professeur de lycée de vingt-huit ans, dans le New Jersey (Etats Unis), enseigne le peer leadership : il s’agit de former un groupe d’élèves à la prise de responsabilité auprès de leurs pairs, pour aider les autres (www.app.com, 21 février). François Rivière, président de la Fondation Le Temps des villes, a remis à Christine Boutin, ministre du Logement, sa proposition de Pacte des villes. La ministre lui a demandé, à cette occasion, de mettre en place des pôles d’excellence de c�ur de ville : il s’agit de créer du lien intergénérationnel, tout à la fois en associant davantage les seniors à la vie de la cité et en rendant cette dernière plus accueillante aux personnes âgées dépendantes (www.letempsdesvilles.org, www.premier-ministre.gouv.fr, proposition de pacte des villes pour vivre tous ensemble, février 2008).
La deuxième piste est celle du bénévolat. Le maire de Paris, Bertrand Delanoë, souhaite créer dans sa ville un statut du bénévolat (www.agevillage.com, 3 mars). Pour le docteur Christophe Trivalle, gériatre à l’hôpital Paul-Brosse de Villejuif, les bénévoles ont un rôle de révélateur des dysfonctionnements et des carences de notre système de prise en charge (www.humanite.fr, 21 février ; www.espace-ethique.org). Un exemple à suivre : en Alsace, la commission du bénévolat de l’association d’aide à domicile APA organise le recrutement, l’accueil, la valorisation et la reconnaissance des bénévoles (Jeanne et Louis, 1er trimestre 2008).
La plus belle histoire, ou la plus réconfortante, nous vient cependant d’Amérique. Peter Kossowan, président de l’association des aidants de l’Alberta (Canada), a organisé un atelier de formation intitulé « L’humour et l’aidant », pour intégrer l’humour dans la vie quotidienne afin de mieux libérer son stress (www.cochranetimes.com, 24 janvier).

Jacques Frémontier
Journaliste bénévole