Un droit imprescriptible à l’humanité

Édito

Date de rédaction :
01 avril 2008

Le rapport Ménard le disait avec force, nous le répétons tous les mois : améliorer la qualité de vie des personnes atteintes et de leurs aidants doit constituer la base de toute politique de lutte contre la maladie d’Alzheimer.
Efficacité modeste, effets indésirables importants : la Commission française de la transparence a réévalué les quatre médicaments classiques en considérant que « leur capacité à ralentir la progression de la maladie (�) n’est pas établie », tout en cotant comme «important» le service médical rendu (Décideurs en gérontologie, mars 2008 ; Prescrire, 15 mars). Du reste, la Société américaine de gérontologie estime qu’une personne âgée sur deux commet des erreurs de posologie, qui, par manque de soutien social ou d’aide à domicile peuvent aussi mener à la perte d’autonomie (www.baltimoresun.com, 9 mars).
C’est dire l’importance vitale de toutes les approches non médicamenteuses, même celles qui apparaissent au premier abord comme les plus modestes comme, par exemple, la musicothérapie, dont certains chercheurs américains vantent les vertus (www.cokumbiaspectator.com, 8 avril).
Mais les Américains, comme on pouvait l’imaginer, attendent surtout beaucoup de la technologie. Ils n’ignorent pas, bien sûr, les difficultés de cette approche : coût financier, absence de modèle économique convaincant. Mais ils insistent sur la nécessité d’impliquer systématiquement les personnes âgées et leurs aidants dans la recherche-développement (Family Caregiver Alliance, 2 avril : www.agingtech.org, février 2008). L’université de l’Oregon a obtenu une subvention fédérale de sept millions de dollars pour un programme d’évaluation continue à domicile auprès d’octogénaires volontaires, afin de détecter des signes possibles de déclin psychomoteur pouvant conduire à la dépendance (www.nia.nih.gov, avril 2008). En collaboration avec l’hôpital Mount Sinai de New York et vingt-six centres Alzheimer américains, elle mène également une vaste enquête pour expertiser trois méthodes d’évaluation cognitive à distance (ibid). Les Britanniques ne sont pas en reste : un laboratoire de Bristol a mis au point un « appartement intelligent » pour personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, avec des détecteurs de mouvement permettant par exemple d’éteindre automatiquement la lumière quand le résident est allé se coucher ou d’alerter un gardien quand une casserole a été oubliée sur la cuisinière. Un standard international de technologie domotique a même été établi (www.medicalnewstoday.com, 17 mars).
La France préfère, semble-t-il, s’orienter vers des solutions reposant davantage sur la solidarité, l’approche sociale ou tout simplement humaine.
Aider les aidants : voilà un mot d’ordre que la Fondation Médéric Alzheimer ne cesse de mettre en avant depuis des années. Le ministère du Travail a publié un guide à leur intention, rassemblant des informations sur leurs droits, les coordonnées des organismes auxquels ils peuvent d’adresser, l’organisation de leur temps, la valorisation professionnelle de leur activité (La Documentation française, 14 avril). Pour Valérie Létard, secrétaire d’Etat à la Solidarité, la validation des acquis de l’expérience doit leur permettre d’accéder à des formations et de reconnaître leur expérience (La Gazette Santé Social, avril 2008). Mais nul ne se dissimule les difficultés : la moitié d’entre eux ont un revenu qui ne leur permet pas de faire appel même occasionnellement à des professionnels, un sur cinq n’a aucune connaissance des moyens d’information ou d’aide mis à sa disposition (www.capgeris.com, 10 avril) ; ce qu’un aidant a accepté peut très bien, avec le temps, être balayé du jour au lendemain (Décideurs en gérontologie, Peggy Schmitt, mars 2008). Le congé de soutien familial, récemment institué, reste en France non rémunéré, alors que de nombreux pays ont mis en place des compensations financières, voire des salaires (www.patrimoinorama.com, 7 avril). Un grand groupe privé français vient, du reste, de se retirer du marché de l’aide aux aidants (www.agevillagepro.com, 31 mars ; www.lexpansion.com, 1er avril).
Les métiers de l’accompagnement des personnes âgées, qui représentent un immense réservoir d’emplois, restent souvent trop peu professionnalisés, trop peu payés, donc insuffisamment attirants. Or l’évolution de la démographie médicale et soignante à l’horizon 2015 est alarmante. Certains territoires, en zones rurales et suburbaines, pourraient perdre jusqu’à quarante pourcent de leurs effectifs (www.agevillagepro.com, 31 mars). C’est pourquoi le gouvernement tente d’organiser un vaste programme de plans régionaux des métiers, les régions assurant la répartition des étudiants dans les formations sanitaires et paramédicales, sur la base d’un schéma régional, ainsi que le financement de la formation initiale et des aides aux étudiants (Soins Gérontologie, mars avril 2008 ; www.agevillagepro.com, 31 mars ; La Gazette Santé Social, avril 2008).
Chacun en est bien conscient : on n’échappera pas à l’élargissement de l’appel au bénévolat. Neuf millions et demi d’euros seront consacrés en 2008 au dispositif d’intervention du Conseil de développement de la vie associative, dont la majeure partie sera destinée à la formation des bénévoles. Le ministère du Travail a demandé la création d’un livret d’épargne civique qui accompagnera le bénévole pendant toute la durée de son engagement et lui permettra notamment de bénéficier de stages de formation gratuits, de l’octroi de points supplémentaires aux examens et d’un reconnaissance de son expérience associative (Assemblée Nationale, questions 7563 de Marc Le Fur et 14776 de Kleber Mesquida, Journal Officiel du 18 mars).

Peut-on espérer que l’amélioration de la qualité de vie des personnes malades tendra demain à restreindre la demande d’euthanasie ? Deux drames récents ont remis la question à l’ordre du jour.
Le romancier belge Hugo Claus, se sachant atteint de la maladie d’Alzheimer, a demandé à bénéficier d’une loi de son pays qui autorise, sous certaines conditions, la mort volontaire assistée à l’hôpital (Le Monde, 25 et 28 mars ; Le Soir, 21 et 26 mars ; www.bibliobs.nouvelobs.com, www.rtlinfo.be , www.eparsa.fr, 26 mars ; Libération, 25 mars ; www.leviof.be, 31 mars). A peu de jours d’intervalle, Chantal Sébire, une Française de cinquante deux ans atteinte d’une tumeur incurable, qui avait demandé en vain aux autorités judiciaires le droit à un suicide assisté, est morte dans des circonstances non élucidées.
François Fillon, devant l’émotion suscitée par ces deux affaires, a confié au député Jean Léonetti, rapporteur de la loi de 2005 sur la fin de vie, la mission «d’évaluer la mise en �uvre concrète de la loi et de faire des propositions pour remédier à la méconnaissance ou à la mauvaise application des textes » (Le Monde, Jean-Yves Nau, 2 avril ; Libération, Eric Favereau, 25 mars). La secrétaire d’Etat à la Famille, Nadine Moreno, a cependant réaffirmé être à titre personnel en faveur de la création d’une Commission nationale de l’exception d’euthanasie, à qui reviendrait le soin d’examiner les cas exceptionnels graves (www.agevillage.com, 27 mars). Mais un certain nombre d’associations professionnelles (dont la Société française de gériatrie et de gérontologie) ont affirmé leur refus catégorique d’assumer un pareil rôle (même source ; www.infirmiers.com, 27 mars). Emmanuel Hirsch, directeur de l’Espace éthique AP-HP, a, de son côté, dénoncé « la confusion des sentiments » et rappelé que « le devoir du médecin auprès de la personne qui meurt est de l’assister jusqu’au terme de son existence. Il ne saurait être le prescripteur de sa mort (Le Figaro, 21 mars). Des médecins, des philosophes, des hommes politiques se sont dès lors lancés dans un vaste débat dont toute la presse française s’est faite l’écho (Le Monde, 21 mars, 6 et 7 avril ; www.ethique.inserm.fr, mars 2008 ; La Croix, 14 mars et 7 avril ; Libération, 25 mars ; Directions, avril 2008 ; www.santenet.fr, 7 avril).

La seule façon, peut-être, d’échapper au moins provisoirement à cette inextricable controverse ne serait-elle pas de rappeler inlassablement un principe d’action majeur : la personne malade reconnue comme sujet irremplaçable, capable d’émotions, de sensations, de souvenirs, même fragmentaires, même erratiques ?

Jacques Frémontier
Journaliste bénévole